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l'apprentissage en question
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Vous êtes ici : Communication, langage et jeu symbolique chez un enfant trisomique de 9 ans, Yann |
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![]() mercredi 22 juin 2005, par J.Zwobada Rosel 1ère année de prise en chargeJ’ai connu Yann à près de 9 ans. C’est un enfant trisomique qui est dans un établissement spécialisé et je le vois en dehors une fois par semaine. Il s’est présenté à moi comme psychotique, hyperactif avec déficit attentionnel, et en dehors d’un bonjour de politesse où il se laisse embrasser, incapable d’entrer en relation avec l’autre [1], encore moins au niveau du regard. Il est alors pratiquement sans langage et présente des stéréotypies de bascule du corps d’avant en arrière en appui décalé sur ses jambes. On n’a aucune prise sur lui.
Au cours de cette année Yann est entré, pour moi, dans l’acquisition du langage, il commence à être en interaction avec l’autre et à parler, il va pouvoir entrer dans les apprentissages.
C’est la seule fois où nous avons eu cette relation corps à corps, à la base des premières interactions.
Nous sommes entrés dans un travail sur la prise en compte de l’objet identifié par le langage, dans un monde qui a des caractéristiques spatiales (verticalité, horizontalité), est habité de bruits eux aussi identifiables et significatifs, et avant tout en relation avec l’autre sur lequel on peut agir par des consignes résultant de conventions pré-établies.
Il a trouvé des moyens d’expression qui ne sont plus seulement l’action et admet l’existence d’une règle. La fonction sémiotique du dessin s’inscrit d’abord dans la maîtrise d’un geste qui produit une forme fermée (cf. le nuage de Benji, vidéo Syntaxe et énonciation 2). Une collaboration prudente devient possible dans la réalisation d’une tâche.
La présence du père a introduit « un autre ordre » et si la mise en mots que j’ai faite de sa peur lui a permis de la contrôler, elle m’a permis également de substituer le langage, les mots qui posent les consignes, à d’autres modalités d’interaction dans notre relation. Je m’adresse à un grand garçon et non plus à un bébé. Il va quitter les chuchotements quand on essaie d’améliorer ses productions spontanées et l’acquisition du langage suivre un schéma classique mais beaucoup plus lent.
La présence du père va permettre ensuite de travailler au niveau cognitif avec un jeu puzzle, « le cactus » où il va créer le sien et découvrir des lois d’orientation des pièces les unes par rapport aux autres, pour que le cactus ne soit pas morcelé, et que chaque élément trouve sa place dans un espace orienté entre ciel et terre.
Juju (enfant IMC) et Yann n’ont pas évolué de la même façon malgré de nombreux points communs au niveau des difficultés d’entrée en relation avec l’autre. Ils n’avaient pas les mêmes freins pour entrer dans les apprentissages. Ils ont leur place dans un travail de réflexion sur l’acquisition du langage, même si ce travail est centré en grande partie sur celle d’enfants dyslexiques dès leur rapport à l’oral pour certains, bien que je n’ai pas eu à intervenir sur le plan de l’écrit. En effet, je m’interroge sur la relation entre oral et écrit dans un contexte d’apprentissage et mes hypothèses de transcodage, voire de néocodage, impliquées au départ de l’apprentissage des enfants tout-venant, se révèlent problématiques pour les dyslexiques et non pour ces deux enfants. Faut-il le mettre en relation avec l’accès au jeu symbolique ?
D’autres mises en scènes pourraient l’aider à élaborer ses émotions comme le jeu l’a permis pour des enfants dans le cadre d’un travail d’élaboration de leur histoire et sur les conduites narratives. Il en est à découvrir le monde de la règle, et la capacité à s’imposer à lui-même de revenir pour travailler lorsqu’il s’est sauvé après un premier jeu/travail. Il souligne l’impact du développement affectif pour libérer le jeu des fonctions cognitives, confirmant l’hypothèse d’un éveil affectif/cognitif que j’avais remarqué chez les non-lecteurs, en donnant l’exemple de Mars (cf. diaporama interculturel, le dessin d’un monde à l’autre), ou chez une enfant en grande souffrance comme Lili. Deuxième année de prise en chargeA la rentrée, il parle de plus en plus couramment avec les déformations attendues et le schéma du haut du corps se constitue suffisamment pour qu’il le dessine sans modèle. Il est donc dans un apprentissage de type cognitif. Mais je ne reprendrai qu’en fin d’année scolaire son investissement lorsqu’il sera entré dans l’expression verbale d’émotions, en lui montrant sur le bonhomme en bois comment cela s’exprime dans le corps par une façon de tendre les bras et de pencher la tête par exemple. Notre parcours est passé par différentes sortes de jeu, celui qu’il a longtemps imposé comme lieu de travail, celui des Pokémons (il connaît les programmes télé qui racontent les histoires).
De mon côté j’essaie de lui suggérer d’autres supports en associant sur ce qui évolue chez lui.
De lui même il explore les jouets musicaux petit piano, (il en a un), un autre où il faut souffler en même temps, il essaie même le cazoo sans mélodie mais avec des rythmes, ce qui prépare la segmentation etc... Quand il se sent en échec, il continue à s’en aller mais d’une façon moins violente et conflictuelle car ses capacités de concentration dans une activité se sont beaucoup élargies et qu’il arrive en supporte même le plus souvent une deuxième.
Pour illustrer la façon dont les activités ne peuvent être programmées mais s’adaptent à ses actions et réactions je vais donner l’exemple d’une séquence de séances de Juin 2005 et l’interprétation des deux qui ont suivi...
Il veut monter au grenier, sa mère lui rappelle sa peur, je précise que ce n’est pas vraiment cela (il n’avait pas pu y monter l’année précédente avec elle mais il avait surmonté sa peur avec l’étayage verbal de son père quelques mois plus tôt en venant à ma rencontre), la trappe est fermée, ce n’est pas le moment.
Il a apporté l’ardoise magique où il a réalisé une splendide pivoine selon sa mère, j’évoque un chou. Il l’efface. Il saisit les cartes et il les pose sur l’ardoise, en quête de forme, de contenant ? Je propose d’écrire quelque chose dans les rectangles délimités pour représenter la carte de pokemon. C’est trop pour lui, (il n’est pas encore motivé pour écrire pour de vrai, il commence dans ses dessins à laisser des marques de pré-graphisme), mais il y met un cercle (seule forme aimantée disponible), et je vais chercher d’autres formes qui, non aimantées, ne s’inscrivent pas, il va donc, lui y mettre une forme (sa mère en fera une photo à la maison ?) en essayant de reproduire une sorte de première forme festonnée fermée comme dans l’évolution du « nuage » de Benji. (cf. thèse et annexe film 7). L’effort a été intense et le fait fuir, mais il revient très vite de lui-même. J’essaie de le remotiver en proposant le loto des odeurs, il n’en veut pas mais reste comme en attente vers la porte, et je sors « les mathoeufs ». Il s’agit donc d’une deuxième activité... J’avais proposé ce jeu avec son père il y a plusieurs mois, et nous avions exploré le matériel avec lui sans rien élaborer d’autre, mais cette fois, nous y sommes, sa mère commente ce qu’il prend (nomme les éléments et leur couleur) et très vite nous discutons en le laissant se débrouiller. Pendant ce temps (il a dédaigné réaliser un modèle), il manipule, découvre, fait deux jumeaux, par hasard semble-t-il, et j’essaie alors de travailler, « pareil pas pareil ». Cela ne l’intéresse pas, mais il les défait, et, (en en réaménageant d’autres peut-être ?), il va réaliser une première correspondance (cf. l’épreuve des jetons de Piaget), par 5, face à face d’abord, puis en trois rangées, puis une quatrième, devant lui, en acceptant de compter avec sa mère : il s’agit donc de nombres, dans la série ordonnée (liste). Il va mettre en place ensuite une première catégorisation en série (pieds rouges et jaunes) lorsqu’il met l’ensemble des figures face à face dans un autre espace (près de moi), non plus selon un axe horizontal, mais vertical par rapport à lui (de toutes façons il n’y a plus de place autrement sur la table). Il travaille donc maintenant avec une extrême concentration dans le champ de la verticalité (les mathoeufs figurent des personnages sur leurs pieds), et avec la mise en mot finale de sa mère qui donne sens à ce regroupement et cette présentation (elle ne l’a pas dit tout de suite, heureusement), en parlant de deux familles. La guidance fonctionne bien, sortir de l’apprentissage didactique (réflexe parental) pour voir ce qu’il peut organiser par lui-même, et bientôt, en dire de lui-même. En effet, il a des commentaires verbaux spontanés, petites phrases, souvent compréhensibles. Il accepte de répéter un nombre un peu difficile à prononcer (2 syllabes) sans, cependant, s’en approprier encore la forme. Il part jouer ensuite dans le séjour, prend la boite de légos et tombe, à côté dans une boite, sur un découpage collé représentant un arbre, sur un socle, je le vois essayer de le poser dessus pour le faire tenir avant de le laisser tomber pour partir avec sa mère car il est l’heure. Il a donc transféré la verticalité du socle (pieds) des mathoeufs à un objet figuratif et « réfléchit ». A suivre... Hypothèse interprétative : Le jeu de la fois précédente (agression et déplacement sur des « représentants » avec force stéréotypies (balancement d’avant en arrière, et hurlements)) aurait libéré une force vive en lui qui ouvrirait au cognitif. Le travail part d’un cadre contenant qui sert de forme de base, cf. le nuage de Benji, à la recherche d’un contenu. S’il résiste encore à la lettre (il les refuse), il veut bien manipuler les chiffres pour les apprendre sous forme de liste à la maison. Cette ouverture lui permet alors un travail d’ordre cognitif qui, portant encore sur une « forme » prépare à l’accès au « contenu » (sens), lorsqu’un chiffre devient nombre. Il ne s’agira plus alors de numération, déroulement d’une liste non segmentable, mais de « valeur » dans un champ de « représentations ». Le rapport entre logique et mathématiques (cf. ce jeu qui se veut être de « logique ») m’apparaît ainsi plus clairement. La fois suivante, le 11/6/5, (filmé), les mathoeufs ne sont plus un même lieu de découverte comme s’il percevait l’aspect répétitif de sa démarche. Nous n’avons pas pu « jouer » au jeu du chasseur car ce qui l’intéresse, après avoir participé à la mise en place des données, c’est que le chasseur aille tuer les animaux, il veut bien réaliser les bruits (sifflet, triangle, frapper dans les mains pour donner le signal) mais le code qu’il déchiffre ne l’intéresse pas en tant que déclencheur d’action. Il s’en va dans la pièce où il joue après la séance et se retrouve avec la locomotive du train qu’il a su dénicher, mais sans avoir rien installé pour jouer avec. Comme s’il était en train de changer ses intérêts de jeu, peut-être ? Le 18/6/5, il vient vers moi m’embrasser en me disant « je suis content de te voir, jacqueline ». Il a osé et su mettre en mots une émotion, j’en suis profondément émue. J’ai préparé les mathoeufs, cela ne l’intéresse pas et comme il y a le bonhomme en bois sur la table, j’ai l’idée de lui sortir la planche à encastrement en mousse de différentes positions.
De l’émotion éprouvée et mise en mots (intonation comprise) aux attitudes corporelles qui la suscitent et l’accompagnent ! Ce n’était pas une parole répétée mais spontanée. Tout se passe comme s’il explorait le champ émotionnel, au-delà des éléments verbaux et non verbaux qui manifestent les émotion, pour aller aux sources premières des modalités de transmission, l’investissement des attitudes corporelles dans l’intersubjectivité des premières relations. A suivre pour travailler la séparation des vacances ! PS D’autres articles montrent son évolution ultérieure. Tous les jeux y participent, celui "des mouches" a joué un rôle privilégié dans sa progression vers les apprentissages dans l’implication d’un tiers et son évolution même. On peut consulter également le blog pour la suite de sa prise en charge. [1] Je précise qu’il ne s’agit pas de poser un diagnostic mais de relever ce qui se manifeste au niveau du comportement. Sans donner tous les détails du cas, je dois signaler que dans le cadre d’un groupe thérapeutique « Identité trisomie » auquel il participait une fois par semaine, il est resté un an et demie sous la table, sans accepter de participer aux activités du groupe. Il s’est ensuite intégré progressivement et n’a plus ces problèmes avec la prise en charge. [2] J’ai longtemps cru que c’était une simplification de « pokémon » mais je crois qu’il prononce là la formule qu’utilise le dresseur de pokemon pour qu’il réintègre sa « boite » jusqu’à ce qu’il le libère à nouveau. Je ne développe pas ici toutes les transformations qu’il fait subir aux mots qu’il tente de capter comme un enfant qui découvre le langage, car je me centre sur les conditions psycho-affectives et développementales (chez lui retardées) de l’acquisition du langage. [3] Il est passé par de nombreuses étapes et à chaque fois les stéréotypies apparaissaient, mais je les contrôlais, au bout d’un certain temps, en verbalisant ce que je pensais être leur signification, le besoin d’être rassuré sur son intégrité. Je n’hésitais pas non plus, quand je voyais une trop grande montée d’excitation, avant l’explosion ou la fuite, à la commenter et à l’inviter à aller faire pipi s’il en avait envie, et il revenait calmé. Ce type d’interprétation prenait le relais de conduites symboliques où il me semblait être entré. Quand il a commencé à entrer vraiment dans le langage, les deux dernières séances avant le départ en vacances, en lien avec l’évocation de notre séparation temporaire, il a utilisé un pot de bébé des WC pour me laisser un souvenir (pipi caca). [4] Ce jeu m’a permis sur l’une des planches proposées, de poser la trace, l’empreinte des pattes ou des semelles et de restituer à chacun la sienne, amorce de la représentation sémiotique... |
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