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DISCUSSION D’UN CAS LIMITE Prise en charge d’Angie EXTRAITS DE THÈSE 2004 lundi 27 juin 2005, par J.Zwobada Rosel Présenter une prise en charge de cette sorte, aux frontières de l’orthophonie et de la psychothérapie, permet non seulement d’explorer la dimension psycho-affective d’un trouble du langage, au premier plan dans ce trouble de la communication, mais d’éclairer l’arrière-fond de beaucoup d’autres même lorsque l’analyse ne la met pas au premier plan. J’ai insisté sur la spécificité du type d’évaluation que je pratique. Ce cas l’illustre à l’extrême. Le diagnostic avait déjà été posé par des spécialistes : troubles de l’articulation, en tant qu’incapacité à réaliser certains phonèmes de la langue, dans un contexte syllabique CV le ch/j . Une rééducation de la déglutition devait préparer la pose d’un appareil. Ces difficultés, fréquentes au cours de la mise en place du système phonologique de la parole, marquent souvent un retard affectif dans la mesure où l’enfant s’attache à la forme d’un « parler bébé » et indiquent de ce fait une certaine difficulté à « grandir ». Cependant l’enfant avait 8 ans, avait appris à lire sans problème et suivait ainsi une scolarité « normale » avec cependant quelques troubles du comportement. La pédo-psychiatre avait diagnostiqué des “défenses autistiques” et mis en place une prise en charge de son côté. Lorsque la collègue spécialisée me l’a adressée, car travailler avec cette enfant l’angoissait trop et qu’elle n’avançait pas, j’avais donc, en tant que praticien-chercheur, des hypothèses prêtes à être formulées en fonction de ce qui se passerait dans nos interactions. Il me fallait vérifier la valeur symptomatique du trouble et préciser qu’il s’agissait bien d’un trouble de la relation à l’autre dans le champ de la communication. Il s’agissait aussi d’évaluer si je pensais pouvoir l’aider, en fonction de ses réactions lorsqu’elle était dans son contexte relationnel de base, avec ses parents, et de mes compétences nécessairement limitées. Il s’agissait pour moi d’entrer en relation avec l’enfant et ses parents, ce qui m’a demandé 4 séances, avec un moment d’entretien en tête-à-tête avec la mère, demandeur de la prise en charge, après la deuxième séance. A la fin de cette période d’observation, j’ai eu un entretien avec le père qui se refusait jusque là à rencontrer aussi bien la pédo-psy que l’orthophoniste. Dentiste, il considérait que c’était un travail mécanique... qui ne le concernait pas. Je ne filmais pas à l’époque et n’ai pu enregistrer qu’une partie de cette très longue séance, ¾ d’h avec les 3 (enfant, mère, père) et une heure avec le père seul ensuite, pour tenter de lui faire comprendre la démarche et l’amener à s’impliquer dans la décision de prise en charge (corpus limité aux notes rédigées après-coup). Ce qui se passe au cours de la première partie de cette rencontre avec les trois, met en évidence la capacité que le père a d’aider sa fille dans une activité manipulatoire (comment faire tourner une crécelle) lorsque la mère n’intervient plus (je lui ai demandé de se taire), et au cours de la discussion qui suit sa participation, la façon dont il perçoit les difficultés que sa fille rencontre.
Après l’évaluation, ayant obtenu l’accord du père, le travail a pu commencer. C’est alors qu’intervient « l’intention du praticien » dans la prise en charge qui se déroule dans un dialogue articulé autour d’une situation de jeu. Il s’agit d’amener l’enfant à être prête à « changer » en l’aidant dans un parcours de socialisation certes mais en étant prête à entendre également « l’histoire » qu’elle a à raconter dans les jeux qu’elle met en scène, sans se substituer, pour autant, à la psychothérapeute qui intervient parallèlement à un tout autre niveau. Le jeu qu’Angie met en place d’elle-même, part de la manifestation de tentatives d’ouverture au monde perceptif avant d’être relationnel, sous le signe de l’angoisse et du conflit. Il évolue vers l’introduction directe du contexte extérieur intervenant dans la socialisation, par la sélection d’un autre matériel de jeu, dans une tentative de l’organiser et d’y trouver une place. Le premier jeu qu’elle a mis spontanément en scène va constituer, tout comme pour Lucas (préambule de la thèse) une série car elle le reprendra de façon intermittente, dans une très grande continuité. L’analyse du corpus permet de suivre, à un niveau métaphorique, sa propre évolution, dans l’image de la relation qu’établit un petit dinosaure avec ce qu’elle lui propose d’explorer. C’est ce qui s’est passé les 5 premiers mois de la prise en charge.
Les composantes de base de l’histoire qui se développera en « récit » à épisodes constitueraient un pré-récit. Le héros est ainsi dans un espace clos personnel, face à lui-même (le miroir). Elle a tout d’abord mis en place tous les autres dinosaures, dont un très grand (Dent tranchante), en rang, « ils sont méchants », et les oriente différemment selon les séances, devant son père vers moi pendant l’évaluation, puis vers la fenêtre quand je prends la place où était son père, puis vers une feuille de papier sur la table, comme pour situer une angoisse interne à l’extérieur (monstres préhistoriques), « ils nous laissent tranquilles ». Elle reprend alors, dans son jeu, l’exploration que j’avais « testée » lors de l’évaluation sur la capacité de son héros (le seul dinosaure parmi les petits qui soit sans dent) à entrer en relation avec l’autre et à gérer l’agressivité, à partir d’entendre (elle m’avait dit en tête à tête entendre qu’on lui parle) en introduisant des bruits significatifs (objets, animaux) puis des animaux jouets qu’elle situe également au temps de la préhistoire, mais « gentils ». Elle pourra alors en retenir un comme pouvant entrer dans l’espace du héros. Avant d’en arriver là, il y avait eu des moments difficiles où l’angoisse surgissait et l’envahissait dans la mesure où je lui avais proposé d’autres activités, jeux de socialisation, ou qu’elle s’en était donnée d’autres comme la pâte à modeler.
Elle arrive à un plus grand degré d’autonomie, sa mère la laisse monter seule et elle s’annonce dans le rituel attendu à l’interphone « Bonjour - C’est qui ? - C’est moi. - C’est qui toi ? - Angie. » Elle me met un poisson d’avril qu’elle a dessiné et choisit alors de travailler avec la pâte à modeler dans un contexte de « transformation » de la forme, (dit « manger », (première réalisation articulatoire du « j ») à propos de ce que peut faire le serpent), nous recherchons la nature/fonction de ce qu’elle réalise, la différenciation nous amène à travailler la classe des noms. Je me sens très orthophoniste !
Nous reprendrons le jeu la fois suivante car il semble qu’on reparte au cœur de ses angoisses et je laisse provisoirement tomber mes propositions. Elle revoit la pédopsychiatre et se montre rassurée. Mais je trouve qu’on va trop vite, comme si elle entrait dans mon désir de la voir établir des relations. Je lui dis souvent que je ne peux lire dans sa tête, quand je tente un commentaire, mais qu’en est-il pour elle !
Elle reprend ce jeu du « village » plusieurs séances, le temps d’en explorer des configurations et d’en faire un espace habité par des animaux proportionnés que j’ai ajoutés au matériel de base, car il n’y a pas de personnages. Elle lui donne un nom « Fontenay animaux », l’écrit et en fait un panneau à l’entrée du village.
Évaluation finale Cependant je ne pouvais manquer de m’interroger sur les caractéristiques de la communication entre Angie et ses parents. Son père la comprenait, alors qu’elle déroutait sa mère, se retrouvant peut-être en elle dans ses propres difficultés à établir des relations. Elle était comme dans l’attente d’une aide de sa part et souffrait de sa résistance à une approche psychologisante de ses problèmes. Sa mère, tellement inquiète elle-même pour sa fille, semblait être sur ses positions propres, impuissante, sans pouvoir en parler avec le père. Angie l’a mis en scène lors du scénario avec les playmobils (la chambre d’enfant) en commentant la solitude de la mère jouet, tristement assise sur sa chaise « la mère attend quelqu’un qui l’aime beaucoup ». Qui est ce quelqu’un ? Angie ne l’a pas dit ? Elle a également essayé de faire comprendre à sa mère la signification d’une réaction violente du père à l’égard de l’école : elle l’a recontextualisée comme quiproquo. Elle est donc attentive à ce contexte situationnel pour donner sens à certaines conduites de ceux qui l’aiment mais serait incapable de sortir de leurs problèmes pour résoudre les siens. Je m’interroge encore sur ce que mon intervention a pu lui apporter : une meilleure insertion sociale, semble-t-il, mais ses problèmes restaient situés à un autre niveau, très “archaïque”, dans le cadre de sa relation à sa mère comme en témoignaient ses dessins [3]. Ainsi, ma démarche, centrée sur s’inscrire dans un dialogue et mettre en scène des récits qui l’aident à se trouver elle-même, dans un travail qui vise à long terme à leur expression écrite, était complètement décalée par rapport à un travail qui puisse l’aider à sortir de l’angoisse où elle replongeait. En ce qui concerne ce que notre « travail » a pu m’apporter en tant que praticienne, j’ai vraiment réalisé à quel point la communication pouvait être là, relationnelle, sans avoir besoin de s’exprimer d’une façon conventionnelle, et, consciente de l’implication de ce mode de fonctionnement par rapport au mien en tant que personne, j’ai du m’attacher à mettre des mots là où il y avait partage d’émotions, résistant à la fascination du jeu où elle donnait à voir quelque chose d’elle-même. En tant que chercheur, cette prise en charge a renforcé mon questionnement à l’égard de mon hypothèse de travail concernant l’existence d’une différence qu’on pourrait dire de nature entre les manifestations symptomatiques des enfants présentant des problèmes de communication. Difficultés ou trouble de la communication, hypothèse que certaines prises en charge m’avaient amenée à poser cf. Manu, enfant bègue (3e document de l’annexe vidéo de la thèse « Entre opposition et séduction »). Différence pour une enfant « différente » car elle fait preuve de beaucoup d’intuition pour analyser les difficultés de communication de ceux qui la touchent de près, comme ses parents, servant de lien en quelque sorte, lectrice/traductrice de son père auprès de sa mère, pour autant que j’aie pu en juger. Discussion sur les modalités d’expression de la relation à l’autre dans le cadre de ce corpus.Le dessin peut introduire la figuration métaphorique de « l’ouverture » à l’autre par la réalisation d’une « fenêtre », puis de plusieurs. Un certain nombre d’enfants, avant même ma rencontre avec Angie, m’ont amenée à cette interprétation alliant la métaphore qu’elle suggère, si on part de l’hypothèse que dans le développement de la trace graphique cette « maison » est un des modes de représentation de lui-même [4], et on la retrouve mise en acte dans le jeu (au niveau comportemental), ou de par le contexte où les enfants l’inscrivent dans leur parole par leur commentaire.
En rapprochant la prise en charge d’Angie (problème d’articulation sans retard de parole et de langage et de gestion émotionnelle) de celle de Yann (enfant trisomique, sans communication verbale et avec difficultés d’intégration), enfants de 9-10 ans l’un et l’autre, je ne peux m’empêcher de me questionner sur l’incidence du jeu symbolique en tant que point de départ de leur évolution. Discussion sur l’éclairage que peut apporter le jeu symbolique aux problématiques de troubles graves de la communicationLa place du jeu est au cœur des aspects psychologiques et relationnels du travail avec Angie.
Le langage intervient peu et sous forme de commentaire. L’enfant s’y implique par « je ». A propos d’une question sur des problèmes d’articulation abordés dans un contexte symptomatique, dans une réponse concernant à un débat sur “langage et sens”, j’avais donné l’exemple d’Angie qui, "a mimé la sortie de l’autisme (version Bettelheim), se plaçant comme sujet totalement impliqué dans son discours". Les caractéristiques de son discours justifient ce propos.
Il s’agit, dans ce cas, d’un contre-exemple, car si elle ne pouvait prononcer "chat" pour le chat qu’elle dessinait pour représenter sa mère, et disait /sa/ (cf. le ça en psychanalyse, en étayant cette interprétation en particulier sur les manifestations émotionnelles qui l’accompagnaient), elle utilisait ainsi "je" sans problème, en situation d’énonciation, mais dans le jeu symbolique qu’elle avait inventé (combinant de façon tout à fait personnelle le matériel à disposition des enfants). L’évolution du jeu symbolique chez Yann est d’un tout autre ordre. Il lui a permis d’entrer dans le champ du langage, en tenant compte là encore, de la dimension psycho-affective de cette acquisition, en lien avec les concepts de psychanalystes comme Winnicott et Stern. L’évolution des modalités de son jeu me sert à le soutenir, dans sa démarche de mise à distance de cette profonde angoisse qui se manifeste dans la violence de ses stéréotypies, si on leur laisse libre cours quand il s’excite. Cette mise à distance repose en grande partie sur la notion de transfert du passage à l’acte agressif sur les personnes présentes qui jouent un rôle dans sa vie, à des poupées qui les représente et d’autres comme le crocodile, qui « symbolisent » les modalités cannibaliques de cette agression.
Sa réaction à cette première intervention de ma part, jouer un scénario, a déclenché un mouvement régressif traduit en acte, car il est venu spontanément se mettre dans mes bras et je l’ai bercé comme le bébé qu’il semblait vouloir que je voie en lui.
Mais ce mode symbolique préparait l’avènement de la maîtrise du langage, ses progrès sont devenus fulgurants et ont abouti à l’écriture de son nom, sans modèle (lettres apprises à l’école ?), lorsque je lui ai suggéré de dessiner le bonhomme en éléments aimantés qu’il venait de mettre en place, sans modèle, en le reformulant en dessine-toi...
Le jeu symbolique a conduit Yann non seulement à la dimension de la communication orale mais à l’entrée dans l’écrit. Il a élaboré différents modes de représentation, il est capable de les faire se correspondre, il améliore ses modalités expressives dans la communication avec l’autre. Il apprend, plus tard, et plus lentement que d’autres, mais me semble passer par les mêmes étapes développementales qu’un enfant qui n’a pas de dysfonctionnement comme je l’ai observé pour des dysphasiques ou des dyslexiques. [1] La prise en charge avait été interrompue car le père ne souhaitait pas rencontrer la pédo-psychiatre. [2] Il s’agit d’un matériel de jeu (Arthus) qui peut servir d’épreuve projective dans le champ de la psychologie clinique. [3] Cette hypothèse repose en partie sur la coïncidence entre le fait d’avoir choisi de faire figurer un chat dans des dessins où elle essayait son agressivité à son égard (accident, mort etc.) et l’homophonie que son défaut de parole entraînait avec le “ça” de l’inconscient psychanalytique (première topique) alors qu’elle reconnaissait dessiner une figuration d’une image maternelle sous cette forme. [4] Une étude qui tient compte de la dimension anthropologique tout autant que psychologique dans l’analyse de nombreux dessins d’enfants me semble confirmer ce type d’interprétation métaphorique que je me fais à moi-même de son évolution dans le cadre de nos interactions thérapeutiques. Il s’agit de « Premiers dessins d’enfants. Les tracés de la mémoire » (1992) de Valenka et Olivier Marc, ouvrage qui fait suite à « L’enfant qui se fait naître » (1981). Je ne formule à l’enfant ce type d’hypothèse, et avec précaution, que s’il s’intéresse à ce que j’en pense, ce qui reste exceptionnel. L’interprétation est alors un commentaire personnel ce qui n’en fait pas un « signe ». |
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