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APPRENTISSAGE DIFFÉRENT
4 bis - Structuration mentale et méta : de l’oral à l’écrit
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21 décembre 2014

par J Zwobada Rosel

Hypothèse forte que celle qui nous amène à douter du bien-fondé de la théorie piagétienne quand il est question de structurer ce que l’enfant doit apprendre pour maîtriser l’usage écrit de la langue.



Avec Kélya, 1ère année de fac, sœur d’un DL (Youcef) et d’un non lecteur (Miloud), j’aborde le travail en annonçant la mise en place du "système", et lui propose le support d’une image du système solaire (en tête d’article), avec son double système puisque les satellites tournent autour des planètes qui tournent autour du soleil (= verbe), les planètes correspondant au nom et donc représentant le groupe du nom.
J’annonce ensuite que nous partirons tout d’abord à la recherche des sons, par l’intermédiaire des lettres écrites sur "les cartons pour faire les sons" comme nous l’avions repris, une fois de plus, avec son frère Youcef au même âge, car là aussi il y a un système à repérer qui aide à s’y retrouver. C’est une base qu’il faut maîtriser pour s’occuper du reste.

Ensemble de systèmes (Figuration)L’ensemble des tableaux qui représentent ces systèmes a été présenté dans le poster de 2003 (PDF en Annexes)image rappelée ci-contre.

D’autres articles sur ce site présentent les problèmes d’acquisition du système phonologique (Laure) de la correspondance phono-graphique de jeunes enfants ou adolescents (non-lecteurs), ou dyslexiques dont la prise en charge est tardive (Youcef), et de l’appui que peut constituer l’utilisation de jetons (Florette, Hellen). Ce travail prend beaucoup de temps et se mène parallèlement à d’autres activités qui renforcent les pré-requis pour les plus jeunes où les complètent, favorisent la structuration spatio-temporelle, la familiarisation avec l’écrit après le récit oral, dessiné etc...

En 3 séances, jeune adulte de 19 ans, Kélya avait tout retrouvé et construit de cette correspondance avec quelques fragilités toutefois (e/é principalement). La disposition qui souligne les oppositions ne lui pose aucun problème, elle en comprend le système. Un article sur le blog présente le détail de sa démarche. Le discussion qui est proposée ci-après porte sur la mise en application des principes de la démarche proposée dans cette première partie d’introduction au "système".

Discussion de la démarche

La progression s’appuie sur ce que le patient apporte (et ce qu’il "oublie" de rapporter). Il ne s’agit pas d’un apprentissage basé sur la répétition de quelque chose qu’on impose, par l’application à la lettre d’une méthode donnée, mais de "faire passer", comprendre, une structure globale en s’appuyant sur tel ou tel élément qui se présente qu’il convient de re-situer dans son contexte. Les tableaux ne sont que des aides et correspondent à une phase terminale (les cartons, dessins papier /crayon, découpages, voire éléments de jeux légos, play-mobiles, jetons etc... en sont les premiers supports). L’enfant doit pouvoir les reconstruire (jusqu’à une sorte de photocopie disponible dans sa tête) et non les réciter, pour les retrouver mentalement et pouvoir compter sur eux quand il est en quête d’orthographe.
L’image d’un tiroir qui permet de sortir la bonne règle ou le bon son ne leur convient pas. Il s’agit d’un travail au niveau de la représentation quand l’automatisation de l’apprentissage scolaire n’a pas fonctionné.
Béquille, (seule la voie d’accès est visuelle pour faciliter l’évocation), qui ne peut fonctionner sans un questionnement intérieur, "méta", pour palier l’insécurité du dyslexique.

La discussion reste ouverte, la suite de la prise en charge de Kelya apporte un éclairage qui confirme l’intérêt de la démarche en la détaillant : "Le méta dans la langue, un ensemble de systèmes".

Retour sur le schème d’un point de vue constructiviste.

En exergue je rappellerai ce que disait Piaget [1] à propos de ses recherches : "Si le problème qu’on étudie, c’est la construction des structures, l’affectivité, bien entendu, est essentielle comme moteur, mais ce n’est pas l’explication des structures".

D’où viendraient ces structures, sont-elles déjà là ou ne sont-elles pas du même ordre que l’objet créé/trouvé d’un modèle psychanalytique dont il est souvent question dans les articles de ce site dans le cadre des premières relations du nourrisson à son environnement ?

Le déjà-là correspondrait à une hypothèse concernant le fonctionnement neurologique de notre cerveau humain, mais ce n’est pas sans poser de nombreuse questions dont celle du terrain. M. de Pracontal faisait remarquer en 1996 que "... si le cerveau était assez simple pour qu’on puisse le comprendre, il serait sans doute trop simple pour comprendre quoi que ce soit !"

Le lien avec le questionnement sur la mémoire est évident car elle entre en jeu dès la mise en route du "système action/perception" tel que je l’ai présenté pour l’accès aux représentations dans le cadre d’une prise en charge de thérapie interactionniste du langage.

La perception repose sur la mobilisation de l’attention et la mise en jeu de la mémoire à court terme pour réaliser une action. C’est alors qu’intervient, dans le cadre de l’acquisition du langage, l’étayage de l’adulte, via la répétition/reformulation le plus souvent, introduisant une
-  Suspension de l’action : l’attention, la concentration, ouvrent au fonctionnement de la mémoire de travail par le biais de la constitution de représentations, qui deviennent susceptibles d’être rappelées en s’inscrivant en mémoire à long terme.
-  Ainsi, qui dit mémoire de travail, dit possibilité de transformation de la perception par le jeu de construction des représentations qu’elle implique pour accéder en mémoire à long terme.

C’est bien du même système de base qu’il s’agit dans la théorie piagétienne telle que je l’ai comprise : les schèmes, moteurs au départ, s’établissent les uns à partir des autres dans le jeu entre assimilation, accommodation, et le besoin d’équilibration qui par définition ne peut jamais se satisfaire dans l’interaction avec le mileu... [2].

En évitant de considérer le mot stade comme un parcours figé, il y a bien des étapes à franchir pour que notre acquisition du langage mène à l’abstraction. S’il parle de stades, Piaget a cependant une vision dynamique de la connaissance qui est liée à l’interaction du sujet avec son environnement. La connaissance ne se résume pas à une simple copie du réel car elle est indissociable de l’interaction du sujet avec son milieu. Toute connaissance d’un objet (ou d’un concept) implique l’incorporation de celui-ci à des schèmes d’action (ensuite représentatifs) puisqu’il n’a de signification pour le sujet qu’en fonction de l’action qu’il exerce sur lui.

Ainsi pour lui, à partir de réflexes simples et d’habitudes acquises, le stade (qu’on peut reformuler en période) sensorimoteur aboutit à la construction de conduites de plus en plus structurées et complexes.
Ce stade est caractérisé par la construction du schème (forme de connaissance qui assimile les données du réel et qui est susceptible de se modifier par l’accommodation à cette réalité), de l’objet permanent et la construction de l’espace proche (lié aux espaces corporels). Lors des stades suivants, l’enfant reconstruit en pensée et en représentation ce qui lui était acquis lors du stade de l’intelligence sensori-motrice.

Pendant la période pré-opératoire (2 ans - 6 ;7 ans), la pensée de l’enfant se constitue en tant qu’intelligence représentative qui pourtant n’englobe pas encore les opérations réversibles. Cette période est caractérisée par l’avènement des notions de quantité, d’espace, de temps, de la fonction symbolique, du langage, etc...
Cette période, ainsi que la prochaine, nous intéressera tout particulièrement pour l’analyse de l’épreuve Piagetienne de la Conservation du Nombre.

Entre 6 ;7-11 ans, l’enfant se situe dans le stade des opérations concrètes et devient capable de coordonner des opérations dans le sens de la réversibilité ainsi que d’une certaine logique nécessitant encore un support concret.

Quelques éléments de réflexion liés à la pratique

L’apprentissage vise à automatiser toutes ces opérations mentales, et certains ne peuvent automatiser, faute d’avoir la mémoire qui convient... Il leur faudrait répéter 500 ou 1000 fois ce qui en 5 à 10 fois s’inscrit chez les apprenants tout venants. Ils font souvent illusion, car ils apprennent pour réciter (à court terme) mais oublient aussitôt, font place vide [3] pour pouvoir mémoriser quelque chose d’autre et le réciter. Mais il n’y a pas trace d’inscription à long terme pour y avoir accès.

Parler d’un dialogue intérieur pose la question du manque d’automatisation de l’application des règles apprises et récitées. Pour les enfants en difficulté que j’ai eu l’occasion d’observer, la mise en route de ces automatismes qu’on voudrait créer, repose sur un questionnement qui devrait s’intérioriser, celui qui est à la base de la structure de la phrase en SVOC : Sujet Verbe COD-COI CC (de temps, de lieu de circonstance etc). Des questions qu’on se pose en écrivant qui sous-tendent les marques nécessaires. On retrouve cette même structure à la base du récit.

De la phrase au récit et l’inverse

L’oral est-il une référence fiable quand il s’agit de langue écrite ? Même si on suggère à l’enfant de s’y référer, quel que soit le champ abordé, de la prononciation de l’oral, à la structuration des énoncés, en passant par l’identification des mots, les pièges sont nombreux et l’enfant peut s’y perdre, dans son souci de s’appuyer sur une règle stable s’il a réussi à la capter. Le jeu lui échappe.

Pour en revenir à la métaphore de départ concernant le système solaire, soleil, planètes et leurs satellites, l’incertitude de l’orthographe ne relève-t-elle pas, en grande partie, non de la méconnaissance de règles susceptibles d’être récitées à la demande, mais de leur actualisation dans la pratique de l’écriture. Sans même parler de l’attention qu’elle requiert.
La métaphore d’un tiroir à tirer, proposée par des enseignants, ne peut suffire.

Le tiroir implique une première catégorisation, regrouper des sons puis certaines règles pour parler et écrire ; et il reste toujours le problème de tenir compte du contexte qui peut modifier ce choix des règles à appliquer car on ne parle ni écrit de même en toute circonstance et il faut pouvoir identifier le tiroir par rapport à la question d’orthographe qui se pose.. On a donc le problème du choix de celui qu’on doit tirer.
S’il est sélectionné, il reste à transformer l’énoncé par des choix lexiques et de lettres (suffixes ou marques) qui remplissent une fonction grammaticale dans un contexte donné qui ne serait pas souvent identifié...

Unités à connaître, et reconnaître car il peut en avoir un usage oral, contexte à identifier, on ne peut raconter une histoire sans personnages situés dans un espace temps à préciser, pour que, de tableaux en tableaux, l’histoire se construise.
C’est aussi de cette façon que je présente aux enfants et à certains adultes les enchaînements de phrases, quand nous travaillons à partir d’un texte, avec l’image d’un plateau sur lequel on pose la feuille d’un premier SVO, et d’un autre qui viendrait se placer au dessus, avec une coordination, lien figuré par le "et", je ne peux m’empêcher de penser aux premiers récits des enfants en "et", "et", "et", (structure additive dirait un piagétien). La subordination est en quelque sorte une extension du Complément en réintroduisant un nouveau plateau qui dépend donc du premier qu’il vient compléter. Tout peut se concrétiser dans le domaine spatial sur la base de liens de dépendance variés, mouvement des mots avec le jeu de ceux qui définissent leurs relations... Cette démarche favorise la compréhension du texte [4].

Dialogue et récit sont intimement liés car les enfants nous montrent que le récit se met en place à partir d’un dialogue d’étayage. Il en est de même en rééducation de l’écrit, le dialogue d’étayage s’intériorise et le sujet se prend en charge, avec toujours ce signal d’alerte prêt à surgir au sein d’éléments plus ou moins intériorisés.

Qui fait quoi où quand comment ? est le questionnement qui permet le récit minimal que pourrait constituer une phrase, dès qu’on l’enrichit d’une deuxième action qui s’enrichit elle-même etc... et mène quelque part.

Discussion à suivre...

13:03/2015
Avant de pouvoir raconter, il faut pouvoir "dire" dans un cadre d’étayage. Un article du blog sur l’évolution de Yann, trisomique de 20 ans à ce jour, discute l’interaction oral/écrit pour l’aider à mettre sa parole en place grâce à un mouvement de tout le corps qui va au delà même des apports habituels du geste, de la mélodie etc...

J Zwobada Rosel


[1] (rapporté de ma thèse T II Section I Récit et Histoire, en conclusion du Ch II Acquisition d’une conduite linguistique pp.648-649 ) extrait du film "Piaget va son chemin"

[2] (le nouvel équilibre étant un état entrant dans une configuration nécessitant par elle même une nouvelle équilibration)

[3] Manu ne dit-il pas : "Mon cerveau c’est comme une carte d’ordinateur... J’ai fait le vide. J’ai "supprimé" tout ce que j’avais mémorisé... J’ai 2 gigas maintenant. Je peux mémoriser maintenant. Mais je l’ai pas "vidé"... c’est dans la corbeille."

[4] L’article en lien est un essai présentant en deux temps des corpus de 4 enfants pour illustrer "Changer son mode d’apprendre".


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