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DISCUSSION AUTOUR D’UNE PRISE EN CHARGE (1) YANN
Trisomique certes mais psychotique ? autiste ?
ENTRER EN RELATION PUIS GRANDIR ?

1er juin 2014

par J Zwobada Rosel

Avant propos

De très nombreux articles tant sur le blog qu’ici même ont suivi pas à pas certaines des conquêtes de Yann.
Nous reprenons des extraits de l’article qui présentait les deux premières années de prise en charge de cet enfant qui ne parlait pas à 9 ans et partait dans tous les sens, avec une stéréotypie de balancement impossible à contrôler, afin de mieux situer ce qui a produit l’effet d’illusion d’une possible "entrée dans notre monde" d’un enfant trisomique qui n’y était pas vraiment entré auparavant.
Cet effet d’illusion portait-il sur le fait qu’il ne semblait pas avoir les caractéristiques spécifiques de cette "maladie de l’intelligence", où un enfant n’a pas la structuration mentale et la capacité de représentation qui permet d’apprendre comme on enseigne, de le fixer et de l’utiliser ? Les enfants trisomiques apprennent cependant, d’une autre façon, et parviennent à fixer et à utiliser ce qu’ils apprennent. Mais Yann ne semblait pas disposer de la forme de mémoire qui permet à ces derniers d’apprendre par l’imitation et la répétition.
Il refusait cette dernière démarche d’apprentissage, et nous avons cru qu’il pourrait rattraper son retard par d’autres voies qu’un apprentissage classique soutenu, car il nous avait étonnés par sa capacité à se transformer, certaines de ses réactions... Cependant, du côté affectif, pendant ces deux premières années de prise en charge, et même plus tard, en entrant dans l’adolescence, il en est resté à une position ...



... de narcissisme primaire, incapable de saisir l’autre en tant qu’être de désir, de dépasser un mode relationnel non hiérarchisé, de type fusionnel, qui ne différencie pas davantage, sur le plan social, la relation à avoir avec un adulte de celle qu’il aurait avec un camarade. [1]

Les premières manifestations de prise de conscience de l’autre par Yann dans l’histoire de sa prise en charge (9-11 ans)

La mise en place de la thérapie

En tant que thérapeute de l’enfant, devenue amie de la famille, je ne pense pas pouvoir déterminer avec qui il était le plus en mode fusionnel de son père et/ou de sa mère, quand il est venu à 9 ans, sans langage, incapable "d’entendre" quelque contrainte que ce soit.

Le père représentait bien la loi, l’autorité, il détenait la force mais partageait aussi une extrême complicité (ils avaient utilisé le chuchotement comme modalité relationnelle).
La mère était l’éducatrice, celle qui inventait sans relâche des supports pour l’aider à progresser dans ses apprentissages, mais aussi la cible privilégiée des agressions, tentant de les contrôler par sa connivence de mère, totalement complice de l’orthophoniste pour passer par le jeu, évaluer les acquis, tenter de s’adapter...

Ma relation aux parents était et est encore d’une totale confiance réciproque, à cœur ouvert si on peut dire. Il s’agit donc d’un travail partagé où le regard extérieur de la thérapeute a permis d’expliciter certaines réactions comportementales, de mettre en lumière les avancées dans différents secteurs, entre relation d’aide (Rogers) et guidance parentale.

Le meneur de jeu a toujours été Yann, sa disponibilité du jour, ce qu’apportait le contexte de la situation présente, et ce qui s’était passé récemment etc... [2]

Un article sur ce site même a présenté l’ensemble de notre "travail" au cours des deux premières années de prise en charge. Yann a grandi et l’adulte qu’il devient est toujours un peu en marge de ce que sa "trisomie" pourrait induire du point de vue de son développement mental. C’est pourquoi cet article revient sur ce développement si particulier de ses deux premières années de prise en charge.

Deux faits méritent d’être soulignés avant de présenter les moments forts qui ont jalonné nos "rencontres",
sous forme d’extraits de ce premier article cité en lien pour les analyser.

  • Le premier fait concerne une intervention de ma part qui a favorisé son aptitude à accepter d’entrer en relation et lui a probablement permis ultérieurement de s’introduire dans le champ des théories de l’esprit, sous forme de concevoir une action, une pensée que l’autre peut avoir.

-  A partir d’un puzzle d’emboitement de petites voitures (il n’acceptait que des puzzles), j’ai mis en scène un bref scénario en les posant sur la tranche et essayé de raconter une histoire. Il s’éloigne et passe tout de suite à autre chose, mais à la fin de son autre activité solitaire, il vient se mettre sur mes genoux, s’allonge comme un bébé, tout raide ; acceptant cette régression, je lui chante une chanson de nourrice.
C’est la seule fois où nous avons eu cette relation corps à corps, à la base des premières interactions mère/enfant.
Le détournement de l’activité de trouver la pièce d’un encastrement (sorte de puzzle) revenait à lui présenter un mode de jeu symbolique [3] qui l’a bouleversé, et il y a répondu sur un mode transférentiel en introduisant la possibilité de se développer sur le plan psycho-affectif. [4]

  • Le deuxième fait concerne l’importance qu’a pris pour lui le dessin à la suite du premier "jeu" proposé.
    Activité spontanée, il a trouvé comment s’exprimer, lui qui ne parlait pas, et a ainsi pu refermer ses premières traces graphiques ouvertes, apportées ou réalisées en séance, puis entrer dans un monde de représentations figurées [5].

-  Son évolution sur un an l’a conduit aussi bien à la représentation d’une maison en 3D qu’à des portraits identifiables par leur expression même, de sa mère ou de lui-même. Le dessin reste un mode d’expression privilégié par rapport au langage oral qui a mis des années à se préciser dans sa fonction de communication tout en étant très informatif pour la thérapeute sur les étapes de son développement mental.

On a retenu de l’article initial des extraits concernant les moments forts qui, tout comme l’évolution de ses dessins, ont entretenu chez moi l’illusion d’une éventuelle pathologie autre que la trisomie [6] pour guider mon adaptation à sa façon d’avancer dans son appropriation du monde et pour envisager l’évolution de ses acquisitions ultérieures dans mon analyse. L’interrogation persiste.

1er extrait

En l’absence de sa mère, Yann était venu avec son père et le réclamera pour d’autres séances. C’est alors que s’est produit un effet de rupture dans les routines qui s’étaient installées, car son père n’est pas à l’aise dans le fait de se laisser commander par son fils dans le jeu de psycho-motricité qui favorise l’intégration de la consigne lorsque l’enfant réalise lui-même les commandes sur le tambourin qui donnent le rythme, et l’activité, marche au pas, course, saut, tour sur soi-même, arrêt. Je m’adapte en modifiant l’activité et c’est alors que je fais une expérience bouleversante, je rencontre le petit garçon de 7-8 ans (il en a 9) apeuré qui est en lui, dans un premier échange de regards.
La réaction est immédiate, il hurle et jette violemment quelque chose vers son père devant lui, va vers la fenêtre, et je commente longuement à son père ce que j’observe, comme l’expression d’une très grande peur, pendant qu’il se sauve, va dans la salle d’attente où il se réfugie avec les jeux de bébés (toupies, établi, cubes etc...), met tout sans dessus dessous en faisant le plus de bruit possible, les jette dans un vrai lit de bébé (c’était un jour férié) qui se trouvait là exceptionnellement...
et il se calme, tout seul.

  • Premiers éléments de discussion sur ce qui se passera ultérieurement

-  La fonction sémiotique du dessin s’inscrit d’abord dans la maîtrise d’un geste qui produit une forme fermée (cf. le nuage de Benji). Elle figure un contenant qui pourra prendre forme et devenir figuration.

-  De séance en séance, j’arrive à arrêter l’activité de certains "jeux" de "travail" que je lui propose, même s’il l’a choisi lui-même, un entre plusieurs, arrêt juste avant qu’il ne se désorganise.
Sinon, il "ne s’enfuit plus" comme avant, introuvable, mais manifeste sa saturation en allant jouer, il "va simplement jouer" dans les autres pièces pendant que je parle à sa maman. La différence m’a frappée.

-  Il va trouver ainsi petit à petit des moyens d’expression qui ne sont plus seulement la désorganisation puis l’action, comme celle de se sauver, et admettre progressivement l’existence de règles.
Règles qui tiennent compte de l’autre dans sa fonction, mais aussi celles des jeux qu’il découvre. Une collaboration prudente devient possible dans la réalisation d’une tâche.

-  Il a compris que je le comprends et par cette brèche peut s’introduire un monde de significations que nous partagerons pour qu’il se les approprie.

-  La présence du père a introduit « un autre ordre » et si la mise en mots que j’ai faite de sa peur lui a permis de la contrôler, elle m’a permis également de substituer le langage, les mots qui posent les consignes, à d’autres modalités d’interaction dans notre relation. Je m’adresse à un grand garçon et non plus à un bébé.
Il va quitter, non sans peine et bien plus tard, les chuchotements, quand j’essaie d’améliorer ses productions spontanées en montrant à sa mère d’autres façons de faire répéter un mot déformé et systématiquement raccourci (cf. les Retards de Parole). L’acquisition du langage va suivre un schéma qui me semble classique mais excessivement plus lent [7].

2e extrait

La maman va revenir assister aux séances et la progression de Yann se confirmer avec un nouveau matériel, le scéno-test, support d’expériences variées, de découvertes de règles avec les cubes pour construire une maison, la faire habiter par le train, puis y introduire les animaux, les poupées, et enfin organiser un jeu symbolique où l’agression se réalisera dans la mise en scène avec les jouets et non plus directement sur la personne de sa mère ou sur moi comme il le faisait jusque là avec certains animaux jouets.

-  A une séance où le jeu symbolique a réellement fonctionné comme tel , par cette distanciation qu’apportait le jouet (à valeur de représentation symbolique des personnes agressées corporellement jusqu’alors avec un jouet), nous avons échangé un long regard de communication qui pouvait signifier d’avoir à deviner ce que je pouvais penser qu’il allait faire ensuite, sourire en coin, regard presque narquois dans le défi qu’il me posait. Je lui ai dit ce que j’avais compris. Il me montrait que non seulement l’autre existait comme différent de lui avec ses propres intentions mais qu’il était entré dans le jeu des théories de l’esprit ...

  • Autre élément de discussion, d’ordre émotionnel, apporté par cet épisode

Si j’avais un jour rencontré le petit garçon mort de peur qui était en lui, j’avais ce jour là éprouvé le plaisir partagé d’être dans ce jeu des intentions prêtées à l’autre, plaisir qui a toujours été à l’ordre du jour de nos séances.

L’évolution des supports de travail

Les deux extraits suivants illustrent la façon dont une activité dans un certain champ, affectif pour le premier, psycho-moteur pour le second, introduit l’ouverture à d’autres acquisitions par l’impact de la motivation à découvrir (désir épistémique) et le jeu du transfert des compétences acquises à d’autres supports.

3e extrait

Le "scéno-test" a évolué.

En novembre de la deuxième année , son père l’accompagne, Yann s’installe dans sa stéréotypie et veut monter au grenier au dessus de nos têtes car « il y a quelqu’un là-haut » [8] .
Je suggère de jouer avec le scéno-test.
-  Il met en place une maison qui n’a pas d’entrée.
J’interviens en lui montrant comment faire une porte.
-  Il prend le crocodile et différents objets (la boite aux trésors qu’il vide sur le plateau puis dans la maison).
Je refuse que le crocodile vienne vers moi sur le plateau du jeu, car il jouerait à me manger et je lui fait chercher ce qu’un crocodile pourrait manger : une banane ? (de la petite boite à trésor [9]), mais pas la table (sur laquelle nous jouons).
Je commente à son père qu’il est dans un processus d’acquisition ce qui implique des moments d’expression quasi « normales », et par ailleurs qu’il ne faut pas négliger la valeur que les mots ont chez les autres, qui pourrait correspondre à ce que le visage qu’il nous présente exprime pour lui.
-  Sa stéréotypie de balancement est contrôlée et il met en scène un jeu d’agression : il prend la vache, dans l’agression elle perd sa corne, on la replace, et je retrouve l’autre qui était perdue.
Les choses reprennent leur place. Nous rangeons, lui le trésor, son père et moi les cubes.
-  Je propose un autre coffre aux trésors et nous explorons l’armoire où il se trouve, il découvre la balance sans que nous entamions un travail spécifique avec ce jour là, et un nouveau jeu, le trigo. Il nous prépare alors à chacun 4 cubes de ce jeu... transférant son savoir-faire et son savoir sur une règle d’un jeu connu(car il joue en famille) à un autre jeu. Il y a des adversaires et il faut distribuer. La séance s’arrête.

  • Je suis intervenue plusieurs fois au cours de cette séance, interprétant son attitude et son comportement en début de séance et en cours de jeu évocateur d’un travail au niveau de l’inconscient.

-  J’émets l’hypothèse que le travail sur un plan affectif aurait ouvert la voie au transfert de règles d’un jeu à l’autre dans une activité cognitive, la distribution... ce qui suppose une certaine flexibilité mentale pour s’adapter de lui-même à un nouveau matériel

4e extrait

Psychomotricité, Jeu des mouches, et entrée dans le nombre

A partir de janvier, première année de prise en charge, sa mère assiste aux séances. Ses progrès se sont manifestés d’abord sur le plan psycho-moteur : dans notre jeu de marche avec le tambourin, on a inclus des consignes de marche/arrêt, puis de tourner, en plus du rythme marcher/courir. Il réussit plus ou moins bien à suivre la consigne avec un tuteur et l’apprend en nous (sa mère et moi) le faisant faire, prenant la place de meneur.

Succédant au jeu de main chaude, le jeu des mouches a demandé dans un premier temps
-  L’identification des "interlocuteurs" : la nomination (sa mère, moi),
-  un travail sur la visée (adaptation du geste de lancer) coordination main/oeil et contrôle de sa force.

Ce jeu a a vite pris sa place dans le cadre d’une séance et est resté longtemps comme une récompense à ses efforts de concentration sur une activité "cognitive" classique (puzzle, jeux divers).

— Poser le cadre
-  Il lui a fallu accepter de rester sur un tabouret et essayer de réceptionner le gros ballon mousse quand je l’appelait Yann en alternance avec maman, puis de façon irrégulière.
-  J’ai introduit alors le fait de compter les "lancers" pour voir le premier qui arriverait à 3 puis 5... [10].
-  Le fait de garder les mains fermées n’a pas été simple.
-  Renvoyer la balle non plus.

— Ce n’est qu’après cette mise en place que le jeu a vraiment fonctionné dans tout ce qu’il pouvait lui apporter :
-  Au niveau psycho-moteur : la coordination puis le contrôle du geste
-  Au niveau de la présence de l’autre, adapter son lancer de balle, choisir à qui l’envoyer, dès qu’il a pris la position de "meneur"...

— Il lui a fallu également s’adapter à la façon dont l’autre participait, en ouvrant les mains et perdant des points, ou en ne réussissant pas à attraper le ballon et perdant tout... ce qui amenait à procéder au réajustement des points gagnés par rapport au nombre qu’il devait annoncer également,

— et il avait ainsi à recommencer une série différente, en parallèle à celle qu’il avait entamée.

  • Que d’opérations mentales en jeu !

Plus précisément
-  les prémisses de la flexibilité mentale nécessaire pour s’adapter à l’autre et à l’évolution des règles qui suivaient ses progrès dans le champ des apprentissages requis tant moteurs que cognitif.
-  Sur le plan cognitif donc, un travail sur la construction du nombre en tant qu’unité autonome, sans avoir à recourir à la liste dans une approche intuitive d’une part, en prévision de l’ouverture aux opérations additives, voire multiplicatives (combien de fois ?) d’autre part, dans l’étayage verbal des commentaires des joueurs.
-  la prévision (le choix à faire dans le rôle de meneur), l’anticipation dans celui de joueur
-  le maintien de la concentration et de l’attention malgré son propre échec...

Règles et Langage

Dans ses nouvelles activités, il lui fallait ainsi, non seulement tenir compte de l’autre mais aussi transposer de nouvelles compétences.

Il y a donc eu toute une évolution depuis la première année. Les règles du jeu n’ont pas été constantes : de simple puzzle qu’il gérait à sa guise, on (sa mère ou son père et moi) en est venus à participer.
Cela a très vite impliqué pour lui d’avoir à distribuer, de vérifier le nombre, de circonscrire un champ de recherches éventuelles. Chacun son tour certes, mais aussi s’aider... Pour moi, il s’agissait d’introduire le langage - en tentant de faire nommer (donc répéter un modèle de plusieurs syllabes (de 1 à 2, puis de 2 à 3, limite supérieure...), répéter étant ce qu’il refuse en principe de faire comme exercice) avec les différents jeux,
-  d’encourager les commentaires autres que le « caba » d’appropriation qu’il a depuis toujours dans les jeux que nous avons inventés à partir du tableau des pokemons avec les figures découpées du 2e poster... [11]

Yann tient compte de l’autre pour s’y ajuster selon certaines règles.

Dans le courant de la première année, après le jeu symbolique, nous introduisons l’autre sur un plan de socialisation :
Lorsqu’il découvre la guitare, je transforme son exploration en nous faire un concert.
Rappelons qu’il s’exerce en famille au jeu de main chaude. [12]
Il reproduit des « mises en scènes préformées » en différents plans de l’espace (socles pour les poser verticalement) avec les pièces d’un jeu avec des éléments que nous avions préalablement identifiées en les nommant, puis il transformera le jeu en jeu de loto (espace horizontal) Il travaille parallèlement sur des images de logiciels.

Son langage évolue en fonction de certains des jeux proposés.

Sa mère m’indique qu’il nomme "des" objets maintenant avec l’article, et qu’il change beaucoup [13]. Mais on ne peut dire qu’il parle, cela viendra des années plus tard seulement [14].
-  En tenant sa main pour ménager l’écran de l’ordinateur, je réussis à lui faire faire des jeux d’attention et de concentration avec des stimuli auditifs à identifier par rapport à l’image. Cela permet de donner sens à ce qui l’entoure, un monde de significations sonores à lui qui ne parle pas encore.
-  Mais il faudra "travailler" à l’identification des noms à partir d’images ce qui va tenir une grande place dans nos séances, dès qu’il contrôlera ses gestes pour ménager l’ordinateur et commencer à le manipuler, notamment l’imagier du père Castor à partir de paysages dont on peut animer les éléments qui produisent leur bruit caractéristique, parallèlement à audiolog, le premier proposé pour identifier les sons, puis travailler leurs paramètres, puis des mots, créa langage avec son loto sonore qui prendra le relai des planches du père castor, presco bébé qui lui permettra plus tard de recenser divers tableaux familiers (classer, localiser), des jeux de rythme, et, dès que nous tenterons d’aborder l’écrit, Furi qu’il reprend à la maison tout comme, des années plus tard, TV Neurones, lorsqu’il maîtrisera le fonctionnement de l’ordinateur [15].
-  Reste le travail sur la contrainte d’une règle/cadre qui sera toujours à re-négocier.

  • Interprétation

Nous sommes ainsi entrés dans un travail sur la prise en compte de l’objet identifié par le langage, dans un monde qui a des caractéristiques spatiales (verticalité, horizontalité des objets et du contexte), est habité de bruits eux aussi identifiables et significatifs [16] , et avant tout en relation avec l’autre sur lequel on peut agir par des consignes résultant de conventions pré-établies.

Parole, jeux et gestion des émotions

5e extrait

A la rentrée, deuxième année de prise en charge, il "parle" donc de plus en plus souvent, avec quelques "mots" qui présentent les déformations attendues d’un tout début d’apprentissage, et le schéma du haut du corps se constitue suffisamment pour qu’il finisse par le dessiner sans modèle [17]. Il me semble donc être dans un apprentissage de type cognitif.

Mais je ne reprendrai qu’en fin d’année scolaire la dimension investissement du langage lorsqu’il sera entré dans l’expression verbale d’émotions sur la base de quelques formules, en lui montrant sur le bonhomme en bois comment cela s’exprime dans le corps par une façon de tendre les bras et de pencher la tête par exemple.

Revenons au déroulement des séances et à l’évolution de leur contenu avec deux autres extraits.

6e extrait

Un mois après la séance avec le scéno-test citée dans le 3e extrait, il me montre son album du centre et nous travaillons sur « la peur » avec le « match contre la montre ». Il sort les pokemons, [18] il nous aide à trouver la place de ceux du jour, nous les nommons pour lui, il s’excite et se calme. Il va ensuite jouer seul (à la toupie sur le tapis), car j’ai dit pas de bruit quand je parle avec maman à qui j’explique quelque chose, puis change spontanément de pièce.
-  Il commence à s’autonomiser par rapport à nous, sans mettre tout sens dessus dessous, admettant de ne plus être celui dont on s’occupe.

Un autre jeu proposé va lui permettre de travailler avec une extrême concentration dans le champ de la verticalité : les mathoeufs figurent des personnages sur leurs pieds, et avec la mise en mot finale de sa mère qui donne sens aux regroupements opérés, en parlant de deux familles (elle ne l’a pas dit tout de suite, heureusement). La guidance fonctionne bien avec elle, sortir de l’apprentissage didactique (réflexe parental) pour voir ce qu’il peut organiser par lui-même, et bientôt, en dire de lui-même.
-  En effet, il a des commentaires verbaux spontanés, petites phrases, souvent presque compréhensibles. Il accepte de répéter un nombre un peu difficile à prononcer (2 syllabes) sans, cependant, s’en approprier encore la forme.

Il part jouer ensuite dans le séjour, prend la boite de légos et tombe, à côté dans une boite, sur un découpage collé représentant un arbre, sur un socle, je le vois essayer de le poser dessus pour le faire tenir avant de le laisser tomber pour partir avec sa mère car il est l’heure.
-  Il a donc transféré la verticalité du socle (pieds) des mathoeufs à un objet figuratif et « réfléchit ». A suivre...

La séance suivante, les mathoeufs ne sont plus un même lieu de découverte comme s’il percevait l’aspect répétitif de sa démarche. Nous n’avons pas pu « jouer » au jeu du chasseur car ce qui l’intéresse, après avoir participé à la mise en place des données, c’est que le chasseur aille tuer les animaux. Il veut bien réaliser les bruits (sifflet, triangle, frapper dans les mains pour donner le signal) mais le code qu’il déchiffre ne l’intéresse pas en tant que déclencheur d’action.
Il s’en va alors dans la pièce où il joue après la séance et se retrouve avec la locomotive du train qu’il a su dénicher, mais sans avoir rien installé pour jouer avec en faisant un parcours.
-  Comme s’il était en train de changer ses intérêts de jeu, peut-être ?

La séance qui suit, il vient vers moi m’embrasser en me disant « je suis content de te voir, jacqueline ». Il a osé et su mettre en mots une émotion, j’en suis profondément émue.

J’ai préparé les mathoeufs, cela ne l’intéresse pas et comme il y a le bonhomme en bois sur la table, j’ai l’idée de lui sortir une planche à encastrement en mousse où les bras et jambes des silhouettes sont en différentes positions.
Il est très intéressé et déjoue le piège du bon côté à trouver lorsque celle qu’il prend est retournée (lisse ou non). Il ne veut pas les reproduire avec son corps mais comme je lui montre qu’on peut manipuler le bonhomme, le faire marcher (en l’enlevant de son support), il attrape le support, me menace puis, comme j’y réponds en faisant avancer le bonhomme sur la table, se laisse prendre au jeu et le manipule pour mimer la marche, et finit en le mettant bien droit. Je lui fais remarquer alors qu’il n’est pas accueillant, il faut qu’il arrondisse les bras et penche un peu la tête...
-  Il est comme étonné par ces indications et m’écoute avec beaucoup d’intérêt en me regardant le transformer...

  • Élément d’interprétation :

Le jeu du scéno-test qui avait précédé un jeu dit de "logique", caractérisé par des agressions aux personnes présentes et déplacement sur des « représentants » avec force stéréotypies (balancement d’avant en arrière, et hurlements) aurait libéré une force vive en lui qui ouvrirait au cognitif.
Le travail partirait d’un cadre contenant qui sert de forme de base, à la recherche d’un contenu. Si Yann résiste encore à la lettre (il les refuse), il veut bien manipuler les chiffres pour les apprendre sous forme de liste à la maison, mais non jouer avec (cf. le chasseur revient).
Cette ouverture lui permettrait alors un travail d’ordre cognitif qui, portant encore sur une « forme » préparerait à l’accès au « contenu » (sens), lorsqu’un chiffre devient nombre. Il ne s’agira plus alors de numération, déroulement d’une liste non segmentable, mais de « valeur » dans un champ de « représentations ». Le rapport entre logique et mathématiques (cf. le jeu les math-oeufs),qui se veut être de « logique ») m’apparaît ainsi plus clairement.

Dans un autre domaine, celui de la communication, de l’émotion éprouvée et mise en mots (intonation comprise)il va découvrir les attitudes corporelles qui la suscitent et l’accompagnent ! Il a su "dire", sans que ce soit une parole répétée mais spontanée.
-  Tout se passe comme s’il en était à explorer le champ émotionnel, au-delà des éléments verbaux et non verbaux qui manifestent les émotions, pour aller aux sources premières des modalités de transmission, l’investissement des attitudes corporelles dans l’intersubjectivité des premières relations [19].

La séparation

Les vacances approchent et après ces épisodes, il a mis en mot son inquiétude de l’absence de sa mère, réalisé un bonhomme en sélectionnant les parties du corps et non les éléments géométriques et à son retour, écrit son nom au lieu de se dessiner comme je lui avais demandé. L’écrit s’inscrit bien ainsi dans le champ de la séparation.

L’avant dernière séance avant cette séparation est particulièrement représentative de la façon dont il "travaille" au niveau psychique.

Il me montre son dossier d’école (IME niveau MSM), fier de ses acquis et veut tester la peur qu’il a de monter au grenier à l’échelle. Jusque là, ni sa mère ni moi ne le sécurisons assez alors que son père l’avait soutenu, et il avait pu... Mais il avait commencé par une amorce de régression (jeu de bébé accroché sur un fauteuil), régression refusée par sa mère, droit que je lui ai reconnu dans le cadre de notre travail, pendant qu’il nous entraînait vers l’échelle ! N’est-ce pas intéressant tout cela...

Pendant que je cherchais un jeu, il s’est caché [20] derrière le rideau de l’échelle (qui monte à ce grenier) et n’a pas voulu de mon jeu (images à compléter logiquement qui s’appelle « chercher »)). Il attendait que je le trouve et comme je parcourais la pièce en commentant « il n’est pas là », il n’a pas attendu et s’est montré.

Il est allé chercher les boites d’animaux en reprenant tous les animaux classés par boite et les a posés en colonnes. Je l’ai laissé seul le faire avec sa mère car je suis allée mettre en place un jeu sur l’ordinateur pour sa sœur.
Quand je suis revenue, il a réactualisé alors le passage de l’agression aux personnes physiques aux objets les représentant, pour qu’on lui repose les règles peut-être. Il a donc recommencé à venir nous attraper les cheveux avec la chauve-souris, sa mère a compris comment répondre en renvoyant cela à une histoire qu’on raconte. C’est intéressant aussi, mais à suivre...
J’ai essayé d’obtenir un nouveau classement sur la base de ceux qui font peur, il n’en est pas tout à fait là, il les prend, est même allé chercher les gros, mais n’en est pas à les rassembler.
Il vient encore au moins une fois avant l’arrêt des vacances, à suivre donc.

  • Évaluation

Entrer dans un processus de séparation, permet à "l’objet" de prendre une certaine autonomie, notamment sur le plan relationnel. Yann a ainsi une autre forme de présence, il peut « être avec ». Il faut toujours s’adapter à lui pour qu’il comprenne des consignes simples. Il se montre relativement coopératif quand on entre dans son champ d’intérêt.

Il est entré dans le "chercher/trouver" l’objet déjà là et est en quête d’identification et de reconnaissance.

Il me semble donc que, même si Yann ne parle pas encore, au cours de ces deux premières années de prise en charge, il est vraiment entré dans l’"apprendre" et sa mère a fait preuve d’un génie inventif étonnant pour adapter à la fois ce qu’elle connaît d’un apprentissage (son expérience propre et la démarche du centre) et la démarche spécifique que j’ai essayé d’introduire pour lui aussi afin de faciliter l’accès au sens sans attendre qu’il maîtrise l’apprentissage des lettres et la combinatoire.

J’avais procédé de même pour Juju(enfant IMC), qui, pris en charge à 3 ans, ne marchant, ni ne parlant, refusant tout contact physique, a pu passer par toutes les étapes du développement d’un enfant, dans un contexte d’étayage affectivo-cognitif soutenu et pas seulement langagier, rattrapant son retard pour entrer dans l’écrit sans problème. [21]

DISCUSSION

Interprétation du jeu d’un point de vue développemental

Ce qui est manifeste à cet égard chez Yann, lorsqu’il "jouait" avec le scéno-test, c’est le bond dans son développement que lui a permis ce mode de représentation impliquant la projection sur des jouets de pulsions, comme l’agressivité (le crocodile), des personnes dangereuses, comme sa mère et moi-même (des poupées). Il a progressivement intégré ces jouets à des scénarios relationnels impliquant les théories de l’esprit, entendues comme représentations que l’on se fait des intentions et représentations de l’autre, et a rencontré les limites du cadre de règles introduisant la distanciation des affects, par la mise en jeu de ces supports au lieu de pratiquer des agressions directes, à peine déguisée.

D’autres mises en scènes pourraient l’aider à élaborer ses émotions comme le jeu l’a permis pour des enfants dans le cadre d’un travail d’élaboration de leur histoire et sur les conduites narratives. Dans les activités des deux premières années, il en était à découvrir le monde de la règle, et la capacité à s’imposer à lui-même de revenir pour travailler lorsqu’il s’était sauvé après un premier jeu/travail. Ce comportement souligne l’impact du développement affectif pour libérer le jeu des fonctions cognitives, confirmant l’hypothèse d’un éveil affectif/cognitif que j’avais remarqué chez les non-lecteurs, en donnant l’exemple de Mars (cf. diagnostic différentiel, le dessin d’un monde à l’autre).

  • Par la suite, considérant qu’il semblait apte à entrer dans les apprentissages de type scolaire que l’établissement où il était pouvait lui proposer, je me suis toujours centrée sur l’accès à des modes de représentation de divers type.

L’ordinateur est devenu, peu à peu, le lieu de ce travail par la distance qu’il instaure
-  pour la manipulation d’objets à situer dans l’espace les uns par rapport aux autres
-  dans la découverte d’un monde qui n’est plus ici et maintenant
— mais sur une image qui peut
s’animer
se nommer
— par le support vidéo de ce qui sous-tend un récit, ouvrant à l’histoire, son histoire par ses mises en scènes
-  par le support visuel qu’il apporte au travail de la voix et de la parole (cf. nombreux articles sur le blog)
-  par la mise en jeu de la fonction cognitive par la diversité des classements qu’il permet etc... de nombreux logiciels ont participé à des découvertes et mises en place. L’ordinateur s’était inscrit tout naturellement en continuité et en complémentarité après d’autres supports qui ont été évoqués dans l’article dont j’ai présenté quelques extraits [22]. Les logiciels de prédilection de Yann ont été non seulement cités mais illustrés en divers articles, notamment sur le blog. Retenons un très ancien Imagier du Père Castor (chez Mindscape) très bien fait (cassé par Oumi(surdité)), chez Créasoft, l’irremplaçable Audiolog , complété par le loto de Créalangage, un Furi expérimental et les 2 premiers (achetés par la famille) auxquels ont succédé TVneurone 4 qu’il a sur son nouvel ordinateur, de même qu’il avait Paddington (Mindscape) et Tibili (Magnard), sans parler de l’irremplaçable Playmaths qui ne fonctionne plus que sur XP , même sous Windows 98 encore meilleurs dans leur complémentarité, comme de nombreux jeux anciens qui l’ont captivé (mention spéciale pour "mon premier corps humain" chez Nathan et le héros un squelette "Arthur Sanpau" qui est même sous Windows 98 et m’oblige à garder mes vieux ordinateurs.

Il est passé par de nombreuses étapes, et à chaque fois qu’un exercice ou un jeu le mobilisait au point de faire apparaitre les stéréotypies, je les contrôlais, au bout d’un certain temps, en verbalisant ce que je pensais être leur signification, le besoin d’être rassuré sur son intégrité. Je n’hésitais pas non plus, quand je voyais une trop grande montée d’excitation, avant l’explosion ou la fuite, à la commenter et à l’inviter à aller faire pipi s’il en avait envie, et ainsi, il revenait calmé. Ce type d’interprétation prenait le relais de conduites symboliques où il me semblait être entré. Quand il a commencé à entrer vraiment dans le langage, les deux dernières séances avant le départ en vacances, en lien avec l’évocation de notre séparation temporaire, il a utilisé un pot de bébé des WC pour me laisser un souvenir (pipi caca).

  • En résumé

Si je reprends la façon que Yann a eu d’intégrer l’expression des émotions :
-  tout a commencé par un échange de regard
-  le scéno-test s’est révélé un support de choix pour l’aider à évoluer tant sur le plan affectif que cognitif comme s’il donnait une impulsion à ce développement qui se travaillait avec d’autres jeux spécifiques, une sorte d’intégrateur révélant ses progrès à ceux qui y participaient. Il lui a enfin permis, jeune adulte, d’explorer la différence entre le fonctionnement du monde réel (et ses règles) et le fonctionnement dans un imaginaire inconscient qui s’y exprimait. Les représentations de telle ou telle règles qu’il y découvrait pouvaient tenir lieu des passages à l’acte et l’aider à contrôler ses actions.
-  il est apprivoisé même s’il ne peut encore s’autonomiser.

Le titre : mots balises désuets ou éclairants ?

Le titre comporte des termes qui n’ont plus cours en milieu scientifique, autiste, psychotique. Ils sont d’une autre époque et posent d’autres questions que celles que suscitent les nouveaux type de prise en charge d’enfant présentant de lourds handicaps.

De mon point de vue d’ancienne, les implications théoriques de ces mots appris à l’université en psychologie,dans les années 50, ont nourri la démarche spontanée que j’avais avec Yann, en tant que praticienne, en deçà de tout programme pré-établi [23].
Il était évident qu’il ne pouvait être question de lui faire passer quelque bilan que ce soit, comportant des « tests » avec des références statistiques normatives, pour non seulement le ranger dans une catégorie de trouble prévue dans la nomenclature, mais mettre en place des orientations et une « progression » de rééducation.

Je l’ai donc observé dans ce qu’il manifestait et, en fonction de ses réactions, j’ai essayé de l’amener à entrer dans notre monde de communication, entrer dans l’apprentissage d’outils qui favoriseraient son intégration sociale et lui permettre de se sentir être lui-même, quel que soit le niveau de son déficit intellectuel éventuel.

Et c’est dans ce domaine, l’intelligence, que s’est produit ce qui pour moi, est un effet d’illusion, au-delà de l’illusion thérapeutique qui permet d’avancer. Il m’a semblé plus autiste que trisomique, autiste du point de vue des anciennes théories puisqu’il évoluait différemment. Avait-il des dons cachés, tout se passait comme si, parfois, il avait des intuitions fulgurantes [24] et l’évolution de ses dessins témoignait de cette différence...

Je le percevais encore comme un petit garçon, en retard, mais plein d’avenir après ces deux premières années et, tout d’un coup, il est devenu « trisomique » avec tout ce que cela comporte comme limitations du point de vue du développement intellectuel. Cela s’est passé au moment où il « entrait dans les apprentissages ». Mais là encore, il n’entrait pas dans la norme avec quelque façon d’apprendre que ce soit ! Comme s’il repartait de zéro en quelque sorte, mais dans quelle voie ?

Yann a perdu sa créativité en dessin mais les siens, beaucoup plus rares, se rapprochaient des dessins d’enfants tout venants, car il avait échappé au schématisme stéréotypé dont a témoigné Artus [25] et qui caractérise également ceux que réalisent des "déficients mentaux". Quant à la thématique de ces dessins, elle suivait celle des enfants du primaire, puisqu’on (sa mère et moi en anticipant sur la démarche de l’école niveau GSM) tentait de lui apporter l’outil de l’écriture alors que son langage référentiel restait très limité : il lui fallait apprendre à nommer, et comme il en était à deux syllabes, escamotant les autres, ce n’était pas simple, d’autant plus qu’il refusait de répéter.

Nous avons tenté de mener de front les deux approches "éducatives", oral/écrit, pour les étayer l’un sur l’autre à partir d’images, de logiciels etc. mais les limitations de la parole étaient toujours là et l’aide que cela apporte à des enfants sourds n’a pas fonctionné.

Et, autre paradoxe, il a développé, dès qu’il s’est mis à parler, un langage énonciatif, lié à la situation, commentant ses actions par des évaluations, exprimant ses émotions dans des formules stéréotypées d’ailleurs, que personne ne lui avait apprises [26]...

Yann se montrait heureux de vivre, bonheur communicatif, même si par ailleurs sa résistance à répéter et retenir pouvait désespérer parfois son entourage. Il semble maintenant, pour ne plus être traité de « petit », il est « adulte » maintenant, il semble essayer d’apprendre dans le cadre d’une sorte d’écholalie qui se déclenche comme s’il tentait de s’inscrire dans la parole de l’autre. Il avait eu aussi quelques phases, « perroquet », que j’avais interprétées à sa mère comme une tentative de trouver sa propre identité de parole en s’essayant avec celle des autres...

Yann a donc besoin, à ce moment de sa vie, à la fois d’un cadre où s’inscrire et de mots pour dire, en passant par la forme qu’ils doivent prendre. C’est l’objectif de ce travail d’expression sur des images, travail de langage qui démarre enfin à 19 ans... (voir cette évolution sur le blog dans un article sous presse). Le travail sur sa capacité à se donner des représentations de plus en plus complexes se poursuit parallèlement.

Yann « est » ainsi pour moi une personne, très « différente », aux possibilités limitées certes, mais qui n’arrête pas de progresser en entrant dans l’âge adulte, comme un enfant, mais tellement plus lentement. Je ne peux que tenter de l’aider à s’intégrer au mieux à la réalité que représente son monde actuel, adapté aux trisomiques, tel que le lui propose la société. L’aider à ne pas basculer dans "son" monde à lui sans tenir compte de la réalité qui lui impose de s’adapter à une demande d’intégration sociale.

J Zwobada Rosel


[1] Je précise qu’il ne s’agit pas de poser un diagnostic mais de relever ce qui se manifeste au niveau du comportement. Sans donner tous les détails du cas, je dois signaler que dans le cadre d’un groupe thérapeutique « Identité trisomie » auquel il participait une fois par semaine, il est resté un an et demie sous la table, sans accepter de participer aux activités du groupe. Il s’est ensuite intégré progressivement et n’a plus ce type de problèmes après le début de la prise en charge.

[2] Il est jeune adulte maintenant et les règles ont changé...Voir sur le blog l’article en lien

[3] jeu symbolique entendu comme intégrant des formes représentant des objets qu’ont peut dire "sociaux" en ce sens qu’ils sont considérés comme remplissant une fonction dans un environnement social. Pour Juju, c’est un puzzle représentant des êtres animés (images parentales, animaux familiers...) qui a rempli cette fonction initiatrice, introduisant leurs relations dans leur problématique et leurs problèmes de communication, dans son cas particulier.

[4] Il m’acceptait ainsi transférentiellement dans ce rôle de guide pour retracer avec lui les étapes du développement psycho-affectif, le corps à corps se transposant ultérieurement dans le "voix à voix" quand il a commencé à jouer avec à l’occasion de "spectacles" ou de tentatives de contrôler sa stéréotypie en l’intégrant dans l’activité même de cette forme d’expression vocale.

[5] L’article présente l’évolution de ses jeux et dessins au cours de ces deux années, reproduisant les pages d’un ppt présenté à Nancy au 6e Festival de l’audio-visuel (2006).

[6] comorbidité : autiste ? psychotique ?

[7] A 19 ans, à ce jour, nous procédons à une Rééducation de la parole et du langage, avec la limitation qu’apporte le déficit intellectuel, plus que manifeste, même s’il a d’autres stratégies d’apprentissage que les enfants que j’ai suivis pour ce genre de troubles.

[8] Selon mon expérience avec les enfants que je suis, dans la configuration de mon cabinet (échelle permanente pour y monter, mais trappe fermée), ce serait l’indication d’un travail qui peut s’effectuer à un autre niveau, de l’ordre de l’inconscient, peut-être.

[9] Cette boite contient les petits éléments qui risquent de se perdre et qui relèvent de l’oralité, sans oublier le biberon pour la poupée bébé.

[10] limite supérieure d’un exercice qui participe à l’autonomisation du nombre sur un plan cognitif en impliquant de l’extraire de la liste, en le construisant à partir d’un mouvement qu’on répète.

[11] Caba J’ai longtemps cru que c’était une simplification de « pokémon » mais je crois qu’il prononce là la formule qu’utilise le dresseur de pokemon pour qu’il réintègre sa « boite » jusqu’à ce qu’il le libère à nouveau. Je ne développe pas ici toutes les transformations qu’il fait subir aux mots qu’il tente de capter comme un enfant qui découvre le langage, car je me centre sur les conditions psycho-affectives et développementales (chez lui retardées) de l’acquisition du langage.

[12] Il a près de 10 ans. Le premier contact n’avait pas été simple. Il allait partout, très agité et nous avions du jouer seuls, toute sa famille et moi-même, assis par terre, formant un grand cercle avec nos pieds qui se touchaient, envoyant le ballon de l’un à l’autre en nous appelant par nos noms. Il regardait de loin, allant de ci de là... La deuxième fois, il avait accepté de s’intégrer au cercle car nous nous étions installés dans la salle d’attente, là où il voulait rester (il y a de nombreux jeux pour petits).

[13] Il s’agit bien évidemment d’un "figement", ce qui n’a rien à voir avec un élément syntaxique autonome.

[14] Il est passé du « chuchoté », comme à lui-même, à prononcer des syllabes avec déplacements et substitutions, sans maîtriser leur forme. Cela m’évoque l’instabilité du signifiant au début de l’acquisition du langage mais beaucoup plus figé et lent à se mettre en place.

[15] Un CD jeux-récompense, le "Clic d’Api" lui permettra de se familiariser avec les commandes de l’ordinateur pour contrôler le geste et son anticipation,"La soupe au beurks" et de découvrir plus tard un premier récit animé, "Petit ours va au marché", introduisant le thème de la perte de l’objet (il perd son père) et un travail sur la séparation.

[16] Cela s’applique aux dessins également : D’un tout autre ordre, un jeu d’association avait une des planches qui m’a permis de poser la trace, l’empreinte des pattes ou des semelles et de restituer à chacun la sienne, - amorce de la représentation sémiotique...

[17] Après être passé par le modèle de Babar

[18] qu’il a longtemps imposé ce support (tableaux et cartons correspondant)comme support de tout travail,(il connaît les programmes télé qui racontent les histoires correspondantes) et qui a permis des activités aussi bien d’ordre cognitif que langagier.

[19] Ce qui me semble être à l’opposé de la démarche habituelle des jeunes enfants

[20] Les enfants de maternelle et de primaire jouent toujours à un moment donné à ce jeu qui reprend le coucou voilà du bébé. Il reprend ainsi le parcours psycho-affectif d’enfants beaucoup plus jeunes.

[21] Juju et Yann n’ont pas évolué de la même façon malgré de nombreux points communs au niveau des difficultés d’entrée en relation avec l’autre. Ils n’avaient pas les mêmes freins pour entrer dans les apprentissages. ... Oumi (enfant sourd appareillé) a du lui aussi découvrir un monde de significations mais a rattrapé son retard et s’est intégré à sa classe d’âge dans un circuit adapté à son handicap

[22] Voir dans "Deuxième année" les § avec surlignage (gras)

[23] voir « autisme », cf. autisme et psychose de Frances Tustin et l’image d’une « forteresse » non « vide » mais trop pleine d’angoisse, et, « psychotique » cf. l’enfant fou de Bruno Castets

[24] Je m’étais posé cette question pour Benji, non lecteur que d’aucuns jugeaient "débile"

[25] Voir sur le blog comment un travail sur la représentation de lui-même l’a aidé à en sortir

[26] J’avais observé ce mode d’entrée chez Lucas, dysphasique,ce que j’appelais des commentaires d’action


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