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STRUCTURATION ET CATHARSIS
Trisomie et évolution du jeu symbolique (Yann)
SCÉNO-TEST

2 décembre 2013

par J Zwobada Rosel

Cet article prend la suite de "Une autre séance avec Yann" qui montre déjà comment le support du scéno-test lui a permis d’évoluer par la médiation du jeu. Il lui fallait ne plus agresser violemment les personnes physiques de son entourage. Ce qui est en question maintenant



... c’est la dimension psychothérapique que doit prendre la prise en charge.

Une porte s’ouvrirait-elle pour grandir ?

La synthèse de l’équipe qui prend en charge les activités de Yann à l’IMPRO avait conclu sur la nécessité de l’aider à grandir car il se réfugie sans cesse dans son monde dès qu’il n’est plus capable de faire ce qu’on lui a demandé ou ne correspond pas à son propre désir.

Yann 18 ;6 Docteur Who
Yann 18 ;6 Docteur Who

La deuxième séance après cette synthèse, Yann arrive avec un dessin (ci-dessus).
Sa mère n’a pu comprendre de quoi il s’agissait car maintenant il regarde la télé avec sa grand-mère ou seul dans sa chambre avec internet.

Ce jour-là, je lui demander d’attendre que sa mère ait fini de parler à quelqu’un, avant d’aller tous les trois essayer de comprendre ce que son dessin représente. Il ne peut sortir de l’entrée où nous sommes et comme je ne cède pas, il n’ose pas forcer le passage.
-  Il tient compte de ma demande.

Nous allons nous installer, non face à l’ordinateur cette fois, mais devant la table où se trouve ouvert la boite du scéno-test . Mon fauteuil recule, je glisse, nous avons peur et je réclame "mon" petit tabouret qu’il s’est approprié sous la table. Il est allé chercher le tabouret le plus haut pour s’asseoir.
-  Chacun prend sa place, celle qu’il s’attribue comme celle que lui reconnaissent les autres pour tenter de trouver la signification du dessin.

Son dessin m’évoque un portail de passage dans une autre dimension pour le dessin lui-même, ce que renforce sa mimique accompagnée d’onomatopées tout à fait évocatrices de cette situation dans de nombreuses séries de mondes parallèles...
Par tâtonnements je finirai par comprendre que le bonhomme est d’après ses dires très déformés "Le Docteur", sans plus d’ailleurs, car les lettres et nombres écrits ne mènent nulle part.
-  Sa mère ne reconnait pas ce qu’il prononce.

Comment entrer en communication avec ceux qui ne disposent pas du langage pour s’exprimer en mots intelligibles sans connaître leurs références culturelles. D’habitude sa mère m’informe de ses addictions du moment, mais il est d’âge à s’automatiser et un surcroit de travail la rend peu disponible en ce moment...

J’ai donc fini par identifier, en associant tous ces indices, "le Docteur Who" dont j’ai suivi par hasard 1 ou 2 épisodes et il y a quelques années, évoqué d’ailleurs à la réunion de synthèse.

"Il s’agit d’une série télévisée britannique de la BBC, créée en 1963 par Sydney Newman.

Tardis WHO
Tardis WHO
On y suit les aventures d’un mystérieux extra-terrestre nommé le Docteur. Avec ses compagnons humains (généralement des compagnes), il voyage à travers le temps et l’espace dans un vaisseau spatial camouflé en cabine téléphonique de police britannique de couleur bleue, le TARDIS (Time And Relative Dimension In Space, traduit en français par Temps À Relativités Dimensionnelles Inter Spatiales)."

Les étapes du jeu

1/Du dessin à sa transposition en construction (en hauteur)

Sur le plateau du jeu, il essaie de mettre en 3D ce qu’il a dessiné sur un plan, ses mains dessinent les angles pour transposer ce dont il se souvient. Je pense à son dessin de la maison dont il a refermé les murs et le toit (éclatés) pour obtenir la perspective vers 10 ans quand il s’est ouvert au monde par le dessin. C’est le processus inverse pour transposer le "tardis" dessiné selon son souvenir. Sa construction ressemble au haut de celle de la présentation du scéno-test (matériel : l’enfant en haut à gauche)

2/Reconstitution du cadre de "vie" du héros de la série et de l’espace du jeu

-  Je me lève pour aller chercher l’appareil photo et l’accoudoir balaie une partie de sa construction. Il est déçu et l’exprime par "oh !" mais il achève cependant la démolition pour recommencer tout autre chose, plus proche d’une représentation de l’intérieur d’une maison (1ère image ci-dessus)... là où nous en étions restés en quelque sorte, dans la dernière séance où nous avions pris le scéno-test avant de nous orienter vers d’autres types de support pour l’aider à entrer dans le langage articulé et favoriser d’autres apprentissages [1].

scéno-test cadre
scéno-test cadre

-  Après cette mise en place il pose d’emblée le petit train, ce que j’interprète (première intervention) comme le désir d’aller ailleurs, de voyager et non de jouer comme un bébé avec, au moment où sa mère part en disant ’non pas Titi’ (surnom de quand il était petit que sa grand-mère ne peut s’empêcher d’utiliser) mais ’Yann’.

Puis il explore ce qui n’était pas dans la case réservée aux cubes, il prend la petite boite dont il soulève le couvercle, tombe sur le siège WC dont il soulève le rabat. Il réfléchit et les laisse en place. Il manipule le transat, essaie de le faire tenir sans y parvenir tout à fait.

3/Le choix des acteurs

-  Je sors et à mon retour il range le transat et je commente : ’Tu cherches quelque chose ?’2e intervention.

Il prend le crocodile qu’il pose sur le plateau en le regardant de très près, œil contre œil, en cherchant où le placer, le long du petit train (on voit sa queue sous la feuille). Il repose la feuille sur l’espace pour réfléchir (cf.la 1ère photo) puis lui fait explorer le père Noël/lutin en le tapotant, le repose ensuite là où il l’a pris dans la boite, repose le crocodile à côté du train, prend la vache qui perd une corne, la remet en place, l’explore avec le crocodile, joue à l’agresser et la remet dans la boite à la place des cubes. Il a retrouvé les supports de l’expression de son agressivité dans son dernier jeu en lien ci-dessus (il y a 7-8 ans). Il remet alors le crocodile à sa place et commence à sortir des poupées personnages.

Choix du héros et de sa princesse
Choix du héros et de sa princesse

-  Il prend le petit personnage, garçonnet qu’on voit sur la photo qu’il confirme être le "docteur who" de son dessin, puis cherche d’autres personnages avec qui le confronter. Il a passé en revue des femmes, il choisit dans un premier temps le couple âgé, puis confirme son choix entre deux fillettes, gardant celle qui n’a pas la robe de princesse (je pense d’abord à sa sœur).

Choix des adultes à expulser
Choix des adultes à expulser

Il va l’allonger dans la construction en cubes (on voit ses jambes)...

4/La figuration de l’espace psychique

... ce qui me fait me décider à intervenir avant même que les batailles ne se déclenchent, en figurant la séparation espace réel/imaginaire par un grand livre que j’avais préparé comme support éventuel d’un travail "pragmatique", livre que je tiens droit pour aménager le plateau en 2 espaces : celui où se situe sa construction, figurant pour moi le "réel", et le lieu de l’évasion dans le jeu qui autorise la mise en acte des fantasmes qu’adolescent il ne peut manquer d’avoir, d’autant que les choix des personnages de son jeu confirment la projection sur des supports de sa quête identitaire.

-  Cette figuration sera ma troisième intervention qui d’ailleurs rend difficile la prise de photos car je dois tenir droit cette barrière et ne peux manipuler l’appareil d’une main...

Il a gardé une femme plus jeune, la remet en place, gardera longtemps le monsieur âgé et fait se battre les différents personnages pour de vrai puisque le héros peut être à terre comme ci-dessous

le combat
le combat

5/ Le conflit entre désir et interdits

Il prend le garçon qui figure Who, range tous les autres, et avec sa feuille dessinée, va chercher la fille dans l’autre lieu. Il les fait passer ensembles avec la feuille qui tournoie et le bruitage qui convient. Il est bien dans cet après et cet ailleurs : il les fait s’embrasser (la photo n’a pas marché). Un vrai baiser avec bruitage, apaisement, après les avoir bien ajustés l’un à l’autre, debout dans l’espace de jeu.
Il prend alors le vieux qui frappe le garçonnet. Il remet, avec bruitage et en la faisant tourner dans la feuille, la fille derrière l’écran. Il se bat avec lui et réussit à le faire valdinguer, retour à la case départ.

L’enjeu
L’enjeu

Il prend l’homme le moins vieux et se bat encore, en ayant fait revenir la fille puis l’avoir fait sortir à nouveau.

Autre adversaire
Autre adversaire

Il va finir par faire rentrer le héros (garçon) et la fille en passant par la porte dans l’espace qu’il a aménagé comme une maison (ou un village dans la série de référence).

retour dans le réel
retour dans le réel

-  Il essaie de les faire s’embrasser encore et je précise (4e intervention), ’là c’est pas sur la bouche, mais sur la joue’, guidant les essais d’ajustement qu’il fait pour que ses personnages s’embrassent. Ils s’installent alors, séparés.

Nous irons ensuite dans une autre pièce, sur l’ordinateur où il sera heureux de retrouver le jeu de construire une maison... qu’il maîtrise parfaitement...

Discussion conclusive

On a pu suivre l’évolution de Yann dans de nombreux articles. Puisqu’il ne pouvait apprendre à parler comme les autres, par l’imitation et la répétition, nous nous sommes centrés sur l’acquisition de pré-requis pour des apprentissages qui étaient pris en charge dans son établissement afin de l’aider à mieux s’y intégrer.

Lors de cette synthèse, nous avons réalisé que nous ne le connaissions pas sous un même jour car les membres de l’équipe ignoraient son parcours depuis 10 ans dans les autres contextes de sa vie que le leur. Nous avons conclu d’un commun accord à un immense retard dans son développement affectif qui freinait très certainement son intégration sociale, en particulier selon les normes de communication habituelles qui passent par des consignes verbales. Nous avons pu recadrer ses troubles du comportement.

J’ai évoqué ses difficultés à évaluer l’attente de l’autre (décentration et troubles pragmatique) et envisagé de reprendre le support qui nous avait si bien réussi quand il était plus jeune, le scéno-test dont les mises en scènes permettent l’exploration aussi bien de pulsions inconscientes et leur expression pour les mettre à distance (effet cathartique) que celle des règles qui régissent les relations humaines (dimension pragmatique).

Et c’est exactement ce qui s’est passé à la séance présentée ici : nous avons pu, grâce au support qu’il a apporté lui-même, travailler à différencier le réel de l’imaginaire et poser quelques règles. Il a pu réaliser les limites de l’identification à ses héros favoris dans le jeu alors que quand il met en scène son personnage sans médiation symbolique dans un atelier en grimpant sur la table (mimant ce qui se passe dans le tunnel de "l’autre ailleurs-temps"), personne ne sait comment l’arrêter et lui faire réintégrer notre monde et ses règles.

Retour sur les supports symboliques utilisés pour s’exprimer dans le jeu ?

Comme dans un récit de conte, on retrouve le héros et des agresseurs, des espaces spécifiés, le mouvement en est donné par les passages de l’un à l’autre. Il y a bien un scénario, celui qui guide toute quête identitaire, la quête de soi, qui suis-je face aux autres, et une belle princesse à conquérir.

Dans les différents temps du jeu il choisit différents supports pour représenter sa quête.

1ère identification : le crocodile agresseur. Il revit ces jeux qui lui ont permis de prendre en compte l’existence de l’autre (première approche des théories de l’esprit).

2e identification, le garçonnet/Docteur Who confronté aux monstres que représentent les adultes de son propre monde. Il va se battre avec eux et parfois gagner en les rejetant au loin. Il passe des relations enfant/parents sans la médiation d’animaux [2], à celle d’adolescent qui voudrait s’émanciper de leur contrainte.
Il n’est plus non plus Picatchou qui a nourri pendant de nombreuses années son imaginaire, il n’a pas vraiment plongé dans les mangas non plus, qui ont aidé plus d’un garçonnet à grandir, en exprimant leurs préoccupations intimes : il ne sait pas lire et ce sont les images de films qui restent la seule source qui lui soit accessible. Nous avions d’ailleurs appris à les identifier comme telles, à partir de brefs scénarios introduisant des logiciels de travail (passant de Petit Ours Brun va au marché (il y perd son père) à Tibili avec son univers magique (les animaux qui parlent et choisissent qui va porter la pierre magique, l’éclair qui détruit la maison des anciens, avant de participer à l’effort de tous : construire une maison, semer des plantes etc, sans négliger le dernier, Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir etc) pour introduire Yann au récit qui, seul, permet l’élaboration d’une "histoire".

Dans ce qu’on peut qualifier de scénario, Yann est maintenant en quête d’une amoureuse et sa mise en scène de la transgression des tabous sexuels qu’on lui a inculqués est bien présentée sous cette forme, puisque l’homme âgé l’attaque puis l’homme plus jeune lorsqu’il arrive à éjecter le premier. Ce sont de vraies bagarres, où il lui arrive d’être à terre, mais il se relève pour gagner son autonomie.

Le jeu permet de mettre en pratique ce qu’il en est de la règle dans le monde réel.

D’autres séries ou films avaient joué le même rôle pour Artus, mais ce dernier pouvait s’exprimer par le dessin et disposait d’un langage suffisant pour que nous puissions arriver à cette différenciation réel/imaginaire à partir de ces supports. Le contexte est différent pour Yann, seul le jeu peut permettre l’explicitation de ce qu’il dessine quand on ne le devine pas ou essaie d’exprimer de ses désirs.

Pour qu’il puisse "grandir" il a mis en œuvre lui-même des étapes importantes :

Il a réussi à
-  se retenir d’agir en écoutant et réalisant ce qu’on lui demande."Faire ce qu’on dit"avant tout.
-  accepter d’être mal compris et essayer de s’exprimer d’autres façons, en particulier dans la situation de jeu qu’on lui propose.
-  utiliser ce nouvel espace d’un autre monde, imaginaire en quelque sorte, pour mettre en scène les fantasmes qui l’habitent (amour/destruction), le baiser sur la bouche du couple et la bagarre jusqu’à l’expulsion des "monstres" de son identification à Who (adultes masculins)
-  identifier comme telle la séparation imposée entre le monde qu’il a construit sur le mode du réel, qu’il a fait d’abord habiter par la jeune fille avant de la séduire dans l’autre, et admis le changement de règle sur le mode relationnel autorisé.
Le jeu de cette séance ne suffira pas à Yann pour lui permettre de devenir adulte.
- Le jeu a ouvert une nouveau lieu d’élaboration. Yann lui-même semble le signifier en réfléchissant longuement dans ses premières manipulations d’objet : en soulevant le couvercle de la boite d’abord, puis du siège WC, et décidé de les refermer. Ce n’est qu’après qu’il a choisi ses acteurs et est entré dans son scénario. Yann aurait ainsi, en tout état de cause, ouvert la voie à une interprétation possible de son jeu.
-  Il y a loin de cet espace imaginaire à l’apprentissage des relations sociales en situation, qui est la préoccupation de toute l’équipe. Ce type de matériel pourra-t-il être adapté à la réalisation de cette autre façon de "grandir" ?

Ce sera l’objet de prochains articles car il s’agit de le mettre en lien avec des situations dessinées de communication entre jeunes adultes. Un essai récent de faire s’exprimer Artus sur ces images a échoué car ce dernier a refusé dans un premier temps toute "projection" sur une image, ce n’est pas lui, car c’est ce support qui a permis la différenciation entre réel et imaginaire, l’image de lui et non lui-même dont les enfants se sont moqués, dans le travail sur la représentation de lui-même.
Un article sur le blog présente le travail de langage avec Yann. Il analyse les premières séances qui ont suivi ce jeu.

Le fait d’utiliser le support de ce jeu permettra peut-être à Yann de retourner à cette première différenciation réel-imaginaire, désir et règles, en lui rappelant le contexte du parcours qu’il vient de faire.

Il m’a fallu reprendre une position de (psycho) thérapeute alors que je m’efforçais de favoriser son développement global par d’autres voies.

J Zwobada Rosel


[1] Le scéno-test avait servi de support à la prise en compte de l’existence de l’autre, à entrer dans les "prémisses" des théories de l’esprit. Je pensais naïvement que sa prise en charge dans des établissements avec un travail d’équipe, gèrerait son développement psychologique. Je n’avais jamais été invitée à les rencontrer. De l’agression directe de sa mère ou de moi-même avec les animaux, il avait agressé des supports "animaux" qui pouvaient nous représenter avant de s’en prendre à des "poupées".

[2] dans un premier temps, les animaux représentaient des personnes sur un plan symbolique


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