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DU DESSIN À L’ÉCRITURE : EFFET DE BASCULE ?
Dysgraphie ?
LA DIFFICULTÉ DE "TRACER" POUR ÉCRIRE

8 mai 2007

par J.Zwobada Rosel

Avant-propos. Si certains enfants passent du dessin de la lettre "bâton" (majuscule d’imprimerie), apprise en maternelle, à celle du CP, script ou imprimée pour la lecture, et attachée pour l’écriture, si ce passage se réalise sans problème dans l’apprentissage, d’autres n’arriveraient pas intégrer l’unité du référent symbolique quelle que soit sa présentation formelle. Ils resteraient dans le dessin, avec ses qualités ou ses défauts au niveau du trait etc...



Extraits d’un Message adressé à une liste de discussion en avril 2007 par Jacqueline qui poursuit cette introduction...

« Je me poserais alors la question : s’agit-il d’une réelle dyspraxie ou de difficultés « dys » d’apprentissage de l’écriture ? Pourquoi « dys » ? àmha (à mon humble avis), ce serait en lien avec ce qui retient d’entrer dans les apprentissages. »

Une autre intervention relance et précise le champ de la question des enfants qui en restent au dessin des lettres :

Hypothèse sur la mise en place du graphisme

Maud :
— « ..je rencontre souvent des enfants qui au lieu d’écrire les lettres, les dessinent . Il semble que seul le résultat compte tant que ça ressemble à la lettre à produire. Est-ce qu’en passant par un atelier d’écriture on travaille ce genre de faits ?
-  J’ai beau passer par le kinesthésique, la semoule, l’écriture en grand et en l’air, l’écriture dans le dos , ou les yeux fermés...je me rends compte qu’ils n’automatisent pas de nouveaux gestes.Qu’en pensez vous ? »

Réponse de Jacqueline :

— « J’ai observé un enfant de CP qui, trés doué en dessin création de paysages avec animaux, selon différents plans, gérant donc le trait et l’espace pictural, réalisait son premier "exercice" d’écriture, des ’c’,puis des e, point par point, comme s’il devait retrouver la valeur numérique de ce nouveau dessin qu’on lui demandait.
-  Il n’y avait pas transfert d’une compétence d’un domaine dans un autre, mais passage d’un mode graphique à un autre. Ce serait basculer d’un monde à l’autre. Heureusement pour lui, il n’y a pas perdu sa créativité.
-  Question de mise en jeu de tel ou tel hémisphère peut-être ? L’un “dessinerait”, le droit, l’autre “calculerait”, le gauche, celui du symbolisme du langage, a fortiori de l’écrit. Le passage de l’analogique au numérique en quelque sorte. Le raisonnement peut-il suivre, ce n’est pas certain (cf. le mode de penser de certaines formes de dyslexie présentées sur le site). » [1]

Hypothèse sur le signe linguistique en tant que « symbolique ».

« Les enfants de CP que je rencontre, en mal avec l’apprentissage de l’écrit, comme Laure,
-  ont souvent quelques difficultés à saisir, la correspondance grapho-phonémique, faute « d’entendre » les sons voyelles.
-  Ils sont en effet polarisés sur entendre les consonnes qu’ils ont également peine à différencier, en lien avec la démarche de soutien que leur propose l’aide du réseau voisin.
-  Ils n’arrivent pas non plus, le plus souvent, à mettre en place la forme graphique des lettres, en particulier dans les proportions. Ils ne sont probablement pas pour autant dysgraphiques.

J’ai déjà rappelé dans mon message du 4/3/2007, intitulé « dyslexie CP ? », l’exemple d’Illis , hypotonique, gaucher (latéralité croisée), pour lequel le « travail » n’était pas -seulement- au niveau du graphisme mais de se tenir, libérer des tensions, s’harmoniser.  »

L’exemple de Tom

« J’en ai présenté alors un autre, bien pire, car si le premier était hypotonique (Illis, voir Dyscalculie et Figure de Rey), le dernier bambin que j’ai fini par accepter de prendre serait plutôt hyperactif (diagnostic évident pour les parents mais refusé par l’autorité, probablement le CMPP, pour dominante psy ?), mais le comportement manifeste est bien là. Que signifie cette résistance chez un enfant qui se présente comme hyperactif, ce qui peut s’interpréter comme dans une totale discontinuité ?

Il est suivi au réseau et malgré le contexte, j’ai accepté de le prendre à la demande de l’équipe pédagogique, de façon intensive, car il est totalement incapable d’écrire (il ne peut passer à l’écriture attachée n’actualise aucun repère), pour le booster, avant de le renvoyer au CMPP (car faute de pouvoir poursuivre en psychomotricité, comme en MSM et GSM, il a, depuis le CP, quelques séances psy plutôt familiales, car il y a un réel problème de “séparation”).

Pas évident, le psy revient au galop, mais quelle violence dans ce petit bonhomme. C’est un enfant qui parle beaucoup, de lui-même, sans sollicitation... ce qui lui passe par la tête.

Il s’agit donc d’un enfant qui n’arrive pas à écrire en CP. Il a toujours tenu le crayon avec la main gauche mais se sert de la droite pour tout (ciseaux, prendre des repères etc...)

J’ai fait avec lui ce que j’appelle "une série", pendant les vacances, séances rapprochées, vu le père, la mère (le bilan avait été fait par une collègue, sur le rapport à l’écrit) avec l’enfant, avec travail sur les pré requis au graphisme : recherche d’équilibre (gros ballon), positions (yogas), respiration (allongé yeux fermés), amplitude des mouvements en miroir (il est gaucher) avec puis sans trace, il arrive enfin à se baisser sur ses genoux pour se déplacer latéralement en faisant ces gestes sur le mur, donc trouver une unité corporelle sur la base d’un rythme fondamental qui amène la verticalité avant de passer à autre chose.

Et... on est arrivés parallèlement au jeu symbolique avec comme projet, passer de l’agression pure à une élaboration narrative. »

Complément anamnestique  [2]

Au cours de l’entretien avec le père, le fils lui a “balancé” son propre comportement en soulignant la contrainte, en le disant très calmement, comme si ça allait de soi, laissant le père surpris... Le père n’a rien dit sur son fils ni sur lui sauf qu’il n’appréciait pas le CMPP (du fait d’une remise en question ?).

Avec la mère nous avons commencé à répondre à "une" question : les faire se retrouver autour du livre de "Bébé", choisi par lui au milieu de 5 qui parlaient des bébés (il en a feuilleté un, écrit/dessiné par des enfants) car, comme le bébé d’un autre livre qu’il a retenu, il ne voulait pas naître... et s’en voulait d’avoir fait mal à sa mère en la bourrant de coups de pieds (très tonique avait dit la sage-femme).

Famille de Tom Février
Famille de Tom Février

Retour au message

« L’évolution de ses jeux "symboliques" est caractéristique d’un travail relationnel mais le programme de la prochaine séance (après la rentrée de février) est un logiciel sur "le corps humain" pour répondre à son inquiétude de mourir si le sang lui monte à la tête (si on l’étrangle), ce qu’il dit sur le palier en partant. Comprendre un peu comment ça marche à partir de Arthur Sanpau (squelette) plait toujours aux enfants, même aux plus vieux (Trisomique adolescent par exemple), et il y a un jeu sur les fonctions de base (fatigue, boisson et nourriture) dans diverses activités. »

Comment faire du graphisme sans qu’il puisse entrer dans la fluidité d’un geste orienté  ?

« J’ai testé sa capacité (son in-) à entrer dans une forme en prenant sa main gauche avec la mienne (car je suis suffisamment ambidextre) pour lui faire réaliser le fameux caca(o) en enchaîné, je l’ai contenu (il n’y a pas de pare-excitation chez lui semble-t-il pour ceux à qui ça dit quelque chose) mais c’était une énorme violence car tout était saccade et incapacité de suivre une direction. D’où le travail décrit ci-dessus.

Je découvre au fur et à mesure de mon travail "technique" les éléments psy qui interfèrent et permettent d’avoir une autre "lecture". Je suis preneuse de vos réactions à partir de vos propres expériences. Vous avez sûrement eu déjà des cas "limites", aux frontières de l’orthophonie.

Il a vraiment l’image de lui comme complètement "nul", la risée de la classe (dernier jeu symbolique où il l’a mis en scène et en mots avec Tom (un animal qu’il a choisi pour le représenter) comme support tout en réalisant des "équilibres" de cubes). »

Jacqueline (Fin de la réponse)

Que s’est-il passé ?

Au cours de l’équipe éducative qui a précédé ma prise en charge, la maîtresse a signalé qu’il avait progressé pour le graphisme ! Je n’ai aucune idée de ce qu’on a pu faire pour l’y aider quand je vois dans quel état il se met pour se contraindre à écrire, très appliqué, appuyant de toutes ses forces et le résultat dans le bilan que lui a fait passer une collègue !

Bilan de Tom (CP Janvier)
Bilan de Tom (CP Janvier)

Prise en charge

-  A la fin de notre première "séance", sur le palier, il se souvient de ma suggestion de respirer le soir au lieu de se balancer d’un côté à l’autre avec violence (rituel d’endormissement), lorsque je précise à sa mère que je me propose de l’aider à organiser tout ce qu’il a (et sait) dans sa tête. Elle me contextualise alors les problèmes de "séparation" en lien avec une nourrice, qu’il a sûrement oubliés, mais pas son père qui ne veut, de ce fait, le confier à personne pour les accompagnements (voir la représentation d’un bonhomme au centre de la famille, qu’il nomme papa alors qu’on pourrait penser à une figure maternelle (ventre, agressivité orale, par exemple).

La rééducation s’est poursuivie, comme je l’ai résumé dans le message, en insistant sur la dimension "psycho-motrice", passage par le corps préalable à un travail plus spécifique sur le graphisme :
-  la respiration dans la détente,
-  la concentration et la maîtrise de la voix avec les pompiers (les yeux fermés), la perception du baton de pluie et la mise en mot du contexte imaginatif...
-  suivre le rythme du tambourin en marchant, courant, s’arrêtant, explorant l’espace
-  l’intériorisation d’un rythme qui apaise avec le métronome pendant le comptage,
-  l’imitation du dessin figurant une position yoga (posture d’un animal)
-  trouver sa place en tenant compte de la place de l’autre sur un tapis figurant un radeau imaginaire soulevé par les vagues,
-  l’équilibre à trouver, non seulement dans le rapport à son propre corps, sur un gros ballon, et la mise en mots de ses sensations kinesthésiques et proprioceptives,
-  mais dans l’orientation de mouvements dans l’espace, séquences de positions à percevoir puis à reproduire, jusqu’à 3
-  puis passage à l’espace vertical orienté par le corps en mouvement sur un grand panneau sur le mur, activité qui sera décrite ultérieurement.

Parallèlement, pour préparer la dimension "symbolique" du signe graphique, j’ai exploré sa connaissance des sons, des lettres et les modalités de déchiffrage, et abordé la question du repérage dans l’alphabet avec un étayage visuo-spatial (on remplace progressivement les lettres par des points sur une autre feuille). Nous avons pu vérifier sur des images d’alphabets qu’il avait conscience de variations pour identifier les lettres sous leurs différentes formes (majuscules, minuscules, scripts, attachées etc...)

Pour aborder la réalisation graphique, il devenait nécessaire de la poser dans sa matérialité : en pâte à modeler : il se contentait d’assembler les bâtons sans chercher à modeler une forme.

Les épreuves

J’ai commencé alors une série d’épreuves pour apprécier plus objectivement ce qui pouvait relever d’une dyspraxie sous-jacente.

■ La maîtrise du geste (cf. ergothérapie)

Je commence des tests de découpage, la maison, le soleil et la voiture. Il se sert de sa main droite, c’est à peu près, car il compte l’ajuster après.

Je passe aux droites à tracer avec la règle, il ne peut le faire de lui-même qu’en vertical, mais y parvient après apprentissage...

La fois suivante, ce sera la Figure de Rey, après s’être entraîné à tenir compte du but à atteindre (monter et descendre l’échelle, viser une cible etc...) pour tenter de contrôler son impulsivité et d’orienter son geste vers un point précis.

La figure de Rey (forme B)

Figure de Rey B Copie

Il ne peut réaliser ce qu’il perçoit de l’inclusion de 3 éléments et en a conscience. Il signale en copie qu’il n’arrive pas à la réaliser.

Rey B Ebauche mémoire
Rey B Ebauche mémoire
(verso)

Il se débat au niveau de la reproduction de mémoire, en s’y reprenant à 3 fois sur le verso même,

Figure de Rey B Mémoire

(recto)

sans arriver à retrouver la séquence des figures qu’il avait réalisées au départ (rectangle carré puis triangle et cercle) comme obnubilé par cette inclusion rectangle/carré qui lui avait fait modifier la forme de ce dernier. Elle devient figure autonome, identifiable par le signe égal tracé perpendiculairement... Les détails du rectangle et du carré disparaissent.

■ Mode d’élaboration de la figure de mémoire :

-  Dans ses ébauches (voir le recto ci-dessus), on peut identifier l’ordre suivant : un rectangle avec une excroissance, une reprise par un parallèlogramme qui pourrait être carré, ou triangle raté.
-  Il retourne la feuille (verso), situe en bas à gauche un carré qui pourrait se prolonger en rectangle juxtaposé, change de secteur, réalise un rectangle non fermé, en haut, abandonne.
-  Il se lance de droite à gauche en commençant (en remontant) par un carré qui pourrait être la représentation de l’inclusion et il réalise alors les figures de base, le rectangle déformé par le secteur de l’inclusion, (à moins qu’il ne faille interpréter sa réalisation à l’inverse rectangle et carré), le triangle, le cercle avec ses deux points, et ajoute ensuite la croix qu’il dit avoir oubliée, ainsi que le signe = (verticalisé). Il a mis 1’30 (contre 1’15 à la copie) car j’ai insisté sur "prends ton temps", et qu’il s’y est repris à plusieurs fois.

Pour l’encourager, je lui avais dit au départ de la copie de la figure : "Tu ne te précipites pas, tu réfléchis, tu as un petit peu appris, tout à l’heure, avec les exercices". Et au moment de la mémoire "non, non, tu le regardes dans ta tête, il est inscrit dans ta tête", et comme à chaque fois il dit "j’ai raté" en soupirant, je lui dis quand il arrive à la première de la série "Vas-y continue en pensant que tu vas d’un endroit à un autre", et lorsqu’il finit par le signe = (vertical) je précise "t’énerve pas !"

Qu’en déduire, non au niveau d’un diagnostic mais de ses capacités d’apprentissage et d’un éventuel "programme" qui s’actualisera dans la progression envisagée ou dans une autre démarche ?

Il faudra certes poursuivre le programme de "tests" non pour une évaluation mais lui apprendre à se construire des stratégies. Cela passe par reprendre le cadre nécessaire à la réussite :
-  s’installer pour faire quelque chose, se dire ce qu’il doit faire (intériorisation de la consigne), pour savoir comment s’y prendre.
-  Vérifier au préalable la respiration (équilibre, voire relaxation), la continuité du mouvement avec les exercices en symétrie et les vagues réalisés sur le grand panneau du couloir, le corps en mouvement etc...

Il se rend compte de sa progression et se calme de plus en plus facilement.

à suivre...

J.Zwobada Rosel


[1] Ce point a été repris et discuté sur la liste, il donnera lieu, à la suite de cette présentation centrée sur le cas d’un enfant, à une discussion sur les "gauchers".

[2] non rapporté dans le message


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