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TÉMOIGNAGE DE DÉPART
Mémoire et évocation : l’image en question
DE TESTEUR À TESTÉ : PANIQUE À BORD

19 novembre 2005

par J.Zwobada Rosel

Confrontée au BEC 96, j’ai gardé le souvenir de trois situations dramatiques, c’est-à-dire une situation de malaise extrême. La liste d’images à retenir, la liste de mots, la figure à reproduire.



Les images appellent deux remarques, l’horreur d’avoir à les regarder pendant une minute (horriblement long) avec la certitude de ne pas y parvenir. Je me suis dit à moi-même, comment faire, autrement dit, quelles stratégies retenir ? Du coup j’en ai essayé plusieurs tout en me disant, il y en a trop, ça ne marchera pas. Et pourtant je connaissais le truc, l’intégrer dans une histoire, script d’une situation sociale où les différents objets seraient impliqués « logiquement », mais j’étais incapable d’intégrer ces objets dans un « récit » de cette sorte. Lorsqu’on m’en a indiqué ultérieurement, j’ai immédiatement associé sur l’action qui introduisait un élément dramatique : « renverser », et ce serait devenu un élément distracteur qui m’aurait fait oublier tout le reste par son impact affectif m’entraînant à associer d’autres scénarios, narratifs. De même, dans ce scénario, le poisson ne pouvait être un élément du repas, je le voyais dans l’eau (son contexte « naturel » qui s’imposait sans lien avec un repas). Un poulet qui court dans l’herbe ne peut être un pilon dans une assiette : il s’agit d’une transformation qui n’apparaît pas sur l’image qui appartient donc à une autre catégorie, il y a incompatibilité entre être vivant et nourriture, les registres sont différents, peut-être en lien avec un fantasme archaïque de dévoration ! Je ne peux m’empêcher de ressentir, évoquer intuitivement, en flash de pensée en quelque sorte, tout cela dans l’évocation qui me fait « nommer » intérieurement l’image, me le prononcer à moi-même, comme si je le disais tout fort (l’ai-je dit, je ne m’en souviens plus).

Le sentiment de savoir que je n’y arriverai pas.our ne pas laisser s’installer les dérives associatives, je commence par repérer le mode de présentation : images, présentées verticalement, un essai de contrôle cognitif par voie littérale : trouver une règle alphabétique, dénommer l’objet le plus précisément possible en tenant donc compte de son contexte : pas une tasse (est-ce bien tasse le mot juste ?) seule, mais avec soucoupe (comment l’indiquer dans un souci d’exactitude déplacé ?), ou sémantique par le recours à la catégorisation : poisson = animal. « Avion » était le premier donc pas de problème l’image est fixée à tout jamais, je la vois encore en tête d’une liste d’autres images (en outre, première par ordre alphabétique), la tasse pour le travail que j’ai effectué sur le coup, et le poisson revenu pour l’analyse que je viens de faire ou peut-être pour mon étonnement de l’y voir comme intrus dans la liste (milieu aqueux).

La réflexion sur la présentation verticale ne s’est pas accompagnée d’une réflexion complète sur sa fonction : certes, elle favorise la perception d’unités distinctes, mais ne donne pas l’idée d’un lien à établir comme l’aurait fait un axe horizontal. En effet, cela m’a renvoyé à mon point de vue sur la verticalité et son importance pour les dyslexiques, sans me permettre de passer pour autant à un autre mode de structuration. Syntagmatique, syntaxe, il aurait fallu élaborer une « histoire syntaxique » en quelque sorte, où les mots s’associent dans une relation syntaxique respectant leurs liens sémantiques : la phrase.

Lorsque j’utilise ce mode de présentation vertical, c’est une étape de la reconstruction du mot pour son identification et sa mémorisation. L’enfant n’a pu le « lire », je le lui fais photographier dans sa tête, et l’envoie le retrouver lettre à lettre (caractère « attaché ») les unes en dessous des autres, en délimitant les syllabes, et marquant également la fin du mot, mais j’insiste sur la nécessité d’une relecture muette avec ma voix à intérioriser pour accompagner ce qui a été déchiffré par cette écriture, le geste d’accompagnement qui trace le lien en le figurant verticalement avec le doigt, et intérioriser ainsi une représentation complémentaire introduisant la linéarité de la parole qui vient ainsi de l’extérieur, avant de demander à l’enfant de l’écrire à nouveau en présentation linéaire, d’un seul mouvement et les yeux fermés. Je n’ai pas eu «  l’idée » de m’appliquer à moi-même une telle stratégie dans cette tâche qui ne concernait pas des « lettres » (non significatives), mais des images qui le sont.

La liste de mots est d’emblée beaucoup trop longue, impossible de m’en rappeler un seul à distance, sauf bouton que j’ai dit à la place de mouton en anticipant sur le p qui venait ensuite (commentaire de l’orthophoniste après-coup qui m’a fait me souvenir de ce que j’avais effectivement prononcé, car ne l’ayant pas « apprise », juste regardée avec acharnement, je ne pouvais en faire l’analyse de moi-même). Je me souviens seulement d’avoir, la première fois, restitué deux ou trois, voire quatre, dont peut-être le dernier, en en sautant probablement un, la deuxième fois d’avoir laissé tomber le début, et vite repris en mémoire immédiate (d’où « b » pour « m »), à toute allure les 5 ou 6 ou 7 derniers, complètement oubliés ensuite, et la dernière fois, sûrement pas mieux. Très consciente de mon impuissance à maîtriser mon attention pour la canaliser vers la tâche. Et pourtant j’avais fabriqué l’image du bouton avec ses trous, mais il s’agissait d’une autre forme de mémoire où une pure forme phonique ne peut être stable ! Encore cette dissociation signifiant/signifié.

  • Et pourtant j’ai bien pensé à toutes les émissions que je rate le moins souvent possible où on fait des commentaires sur les différents moyens de chacun, ceux qui marchent le mieux, le coup de l’histoire surtout (cf. le scénario de l’hôtesse de l’air). J’ai même pris de nombreuses notes, consciente de mes insuffisances avec mes patients (les moins atteints trouvent eux-même des trucs que je n’aurais jamais pu imaginer alors que je les avais « appris » en quelque sorte dans mes « lectures » professionnelles), et si je leur propose mes histoires ou mes trucs, c’est quand ils n’en trouvent pas ou à titre de suggestion pour en trouver d’autres. Il ne suffit pas de savoir ce qu’il convient de faire pour que cela marche. J’en donnerai l’exemple du téléphone. Mon empan naturel est entre 4 et 5 (en me concentrant). Je leur propose de me battre et on explore comment faire pour dépasser sa propre limite. Un d’entre eux m’a dit « par deux ». Le plus souvent, j’oublie effectivement de passer du chiffre au nombre en regroupant les nombres par deux, cela permet 6 la plupart du temps avec un très gros effort, en trouvant une relation quelconque entre les unités ainsi constituées : la consigne segmente, j’adhère à l’aspect formel de la consigne, et pourtant depuis le temps, je devrais savoir et pouvoir le faire, mais non. Je rappelle ce qui rend le mieux compte d’un mode de réalisation de dyslexique, leur devise en quelque sorte : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !

Quant au dessin, reproduction de figures, je me suis dit que là au moins j’étais dans mon élément, que je devrais y arriver. Mais... Jenny (dysorthographique de 6e) ne m’a-t-elle pas dit « c’est facile » avant de s’y reprendre à trois fois pour copier la figure de Rey, et je ne parle pas de la mémoire ! Copier n’est pas si simple, toujours cette exigence de reproduire exactement une forme, conflit avec une stratégie de perception globale, intuitive en quelque sorte... Et quant à se rappeler. J’ai essayé ce qui m’aide le plus, me dire ce que je faisais (commentaire d’action en tant qu’étayage dialogique), mais là encore les mots m’ont joué des tours. Je n’ai pu réussir car j’ai posé le triangle central sur sa base au lieu de le poser sur la pointe et aucune relation ne pouvait marcher dans celles que j’avais pu établir pour me rappeler les positions respectives établies par rapport à cette base. J’avais vu qu’il était sur pointe, puisque reproduit comme tel, mais ne m’étais pas formulé que c’était illogique dans mon mode de fonctionnement de démarrer ainsi. Je l’avais aperçu, dit à moi-même « en glissant » sur l’information et le souvenir ne m’en était pas resté. Tout en découlait. Est-ce dans cette « logique » que j’ai tant de mal à me rappeler des jeux de mots que j’ai tant de mal à réaliser comme tels. Tout est pris à la lettre... Le triangle était triangle... point à la ligne, dans l’énumération de mon souvenir.

J. Zwobada Rosel Août 2005

J.Zwobada Rosel


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