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Espace-temps, corps

17 mai 2005

par J.Zwobada Rosel

Réponse faite sur un forum : A Caroline et à Laurent en particulier et à ceux qui s’interrogent



Pour ma part, un point de vue rapide (enfin presque) [1]. : J’en reviens toujours à la base

1) au système de la langue, il s’agit d’oppositions pertinentes, donc d’un point de vue phonologique, les percevoir dans le contexte de paires minimales, je voudrais rappeler à ce sujet ce que j’ai rappelé dans ma thèse, (des expériences très scientifiques rapportées à une journée de l’ANAE l’ont rappelé), que les enfants dyslexiques n’arrivent pas à construire les frontières des phonèmes dans un continuum, ce que j’ai caractérisé dans ma thèse par

"ils discriminent (niveau phonétique), là où le commun des natifs d’une langue différencient (niveau phonologique)".

Le jury m’a demandé de m’en expliquer mais cela mérite de reprendre à la base la question des premières formes d’organisations psychiques qui s’expriment dans des opérations mentales (comparer pour identifier pareil, différent, hiérarchiser pour catégoriser, et pour les deux selon des critères perceptifs ou sémantiques (je n’utilise pas conceptuel exprès) etc...). Je passe donc sur les représentations auditives.

2) Prenons le registre perceptif : vous dites visuel, donc espace, organisation spatiale, mais ce n’est pas un espace inanimé, car il s’agit d’un espace orienté par le corps humain avec l’opposition devant derrière, d’où les gestes de Borel et sa fameuse bonne femme (c’est plus facile de mettre des cheveux bouclés qui retournent pour orienter un visage de profil en le schématisant) QUI MARCHE, comme les lettres qui, pour nous, sont orientées de gauche à droite, dans le sens de la lecture. J’ai donc essayé de faire prendre conscience à certains enfants de cette position de la demi-boule qu’on déplace sur l’axe, selon la démarche de Borel, et pour les enfants qui ne pigeaient pas, conscience de cette position sur leur propre corps. Même si je le leur montrais sur le mien la manoeuvre, ils n’avaient pas suffisamment investi leur propre corps pour pouvoir accepter de partir de cet AXE VERTICAL... de surcroit orienté, qu’ils auraient du pouvoir représenter. Ce n’est pas systématique heureusement, mais montre qu’il y a là, parfois, un travail à faire.

Il y a aussi les deux paires qui se courcircuitent dans un langage énonciatif : avant/après, devant/derrière, dans la projection spatiale de l’espace-temps. Certaines maîtresses, certains parents, décentrés, ne parlent pas la même langue que leur enfant, et l’enfant ne fait pas le lien avec ses propres représentations. Réfléchissez à l’énoncé de la règle du "c" en français (valeurs contextuelles de cette variante graphémique du /s/ et du /k/). Qui est devant/derrière l’autre des lettres d’un mot ? N’est-ce pas plus simple de dire "après" en se référant à l’acte d’écrire, car on écrit une lettre après l’autre...

Une petite fille, Betty, était dans un conflit grave avec sa mère qui l’embrouillait complètement par rapport à la compréhension (intuitive, sur d’autres bases) qu’elle avait peut-être pu entre-apercevoir dans ses essais et erreurs aléatoires à l’école, lorsqu’il s’agissait de cette graphie. J’y avais sûrement contribué avec mes propres formulations lorsque nous avions travaillé les tableaux des différentes valeurs en manipulant leurs composants. Certains enfants dyslexiques auraient comme référence interne leur mouvement propre dans un espace à trois dimensions, et non la mise en place d’une procédure.

Certains viendraient en effet d’un autre monde (comme l’a figuré Mars que je présente dans ma thèse) et parleraient une autre langue, justifiant ma position de "médiateur/traducteur", ce qui pour d’autres pourrait s’appeler "Lalangue", pour reprendre le terme de l’équipe de Ste Anne qui a fait la recherche sur les non lecteurs. Version finale :"Des enfants hors du lire" Fayard Edition 1994. Ce point de vue d’une autre langue est aussi un point de vue qu’a présenté B. Sauvageot récemment aux "Maternelles", un matin.

3) Pour enchaîner sur cette collègue, j’ai pratiqué parfois la perception interne qu’on peut avoir d’une lettre lorsqu’un autre le dessine dans votre dos, avec Mars, justement. Je quitte sa démarche pour introduire mon deuxième point de vue, celui des investissements affectifs qui peuvent interférer avec une approche technique. Lorsque le père de Mars a dessiné des lettres dans son dos, cela s’est transformé en caresse ! L’érotisme est tout prêt/près, mais aussi tout l’investissement affectif qui peut émerger de certaines pratiques, pour certains enfants. A nous de le repérer. Faut-il évoquer ou non le bébé pour localiser la boule du b que la maman soit ou non enceinte, lorsque l’enfant se bloque (pas directement bien sûr).

La plupart des enfants ne font pas le lien ou cela les amuse (je pense à la planète des alphas) mais... justement les dyslexiques ne seraient-ils pas parfois, dans leurs représentations, les mal-aimés..., le p qui évoque le sein, le q et ses associations de mot tabou, quant au "p" de papa, Vinci (autre non-lecteur de ma thèse) écrivait au tableau consciencieusement, "qaqa" pour papa, alors qu’il venait d’écrire les deux formes du p, ce que nous avons repris dans un travail d’évocation et de construction d’une liste en vérifiant les graphies des voyelles qu’on pouvait associer au p dans son carnet. Le lendemain il concluait un travail d’identification à partir de ces mots choisis par lui, en disant "maman c’est papa"... la mère a pu ainsi remettre les pendules à l’heure.

Je rappelle (j’ai l’impression de me répéter dans les exemples que je donnne) qu’un enfants a refusé de lire la première page d’un livre où on étudiait le corps humain, ne pouvant dire "mon corps c’est moi". L’interdit s’est levé lorsque, deux ans plus tard, il m’a rapporté la révélation que sa mère lui avait faite à 8 ans (en quels termes !) d’un "frère" mort avant sa naissance : "Si mon frère n’était pas mort, il n’y aurait pas de Kacem, où i serait Kacem" et a poursuivi avec un accent de révolte désespérée "c’est mon frère qui est moi, j’suis rien". Il n’y en a eu qu’un à me dire cela dans un tel contexte, et mieux vaut peut-être un mal-dit qu’un non-dit, j’avais encouragé la mère à lui en parler devant le blocage cognitif de l’enfant et certaines réactions caractérielles ? J’arrête là le psy qui est parfois là quand même pour justifier de l’échec relatif d’une approche qui reste technique de toutes façons.

Merci d’être arrivé jusque là, mais comment résumer davantage ?

J.Zwobada Rosel


[1] Note ultérieure de la rédaction : La question portait très probablement sur les éternelles confusions bpdq etc


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