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Soutenance de Thèse
REPRÉSENTATION ET EXPRESSION DANS LA PRISE EN CHARGE DES TROUBLES DE L’ACQUISITION DU LANGAGE

16 janvier 2005

par J.Zwobada Rosel

Cette thèse porte sur des enfants qui apprennent à parler, à lire et à écrire autrement que les autres.

C’est donc cet « autrement » qui fait l’objet des descriptions de corpus et de l’analyse des variations en tout genre que je présente. Cet « autrement » interroge ce que l’on décrit habituellement du fonctionnement du langage et j’en rends compte comme praticien-chercheur en me situant à l’interface de trois champs, affectif/cognitif/langagier.



Les corpus des interactions du praticien, avec des enfants qui, dans le cadre de leur développement, résistent à un changement de mode de pensée, sont nécessairement hétérogènes. Il y a ainsi tension entre le travail des notions, elles-mêmes plurielles, au contact du concret que ces corpus représentent.

Pour situer ma démarche particulière de praticien-chercheur, je partirai d’un exemple, celui de l’inscription dans le temps de ces enfants. Des recherches expérimentales récentes mettent en évidence l’importance d’un délai nécessaire au dyslexique.

S. Borel-Maisonny avait introduit dans ses techniques de rééducation du langage oral et écrit, le ralentissement de l’émission sonore pour permettre la saisie de la perception auditive, sa figuration dans des tableaux pour l’étayer sur la perception visuelle, par l’utilisation de l’espace pour figurer le mouvement qui relie les éléments phoniques. De même, a-t-elle introduit le mouvement corporel pour faciliter la discrimination des unités et la mise en place des éléments successifs dans l’association syllabique.

Ces entrées perceptives et proprioceptives, mobilisent en même temps les canaux auditifs, visuels et kinésiques, dans un rapport motivé aux mouvements articulatoires et à la trace de la lettre pour l’écrit. Dans cette démarche, qui aide effectivement un certain nombre d’enfants en difficulté, il s’agit donc de donner des repères qui ancrent dans la matérialité du corps la manipulation mentale des lettres à la base de l’écrit.

J’ai utilisé toutes ces facilitations (le terme est emprunté à la rééducation de l’aphasie), mais je me suis trouvée confrontée à des cas où cela ne suffisait pas, principalement pour ceux que j’ai appelés « les non-lecteurs ». Que faire avec ces supports lorsqu’ils ne remplissent pas la fonction compensatoire attendue ? Ma démarche a tenu compte du délai qu’impose une période d’éveil affectif-cognitif et je suis allée à la rencontre de leur mode de penser en adaptant ma propre façon de travailler avec eux.

En tant que chercheur je ne peux que constater, en me donnant des outils d’analyse pour comparer les enfants entre eux, que si le délai est nécessaire à leur perception du langage, il n’est pas suffisant pour certains enfants ou adolescents en difficulté avec l’acquisition du langage oral ou écrit. Il me faut chercher des pistes de compréhension ailleurs que dans la filière cognitive où les entrées perceptives se convertissent en représentations mentales dites verbales, lorsqu’elles se séparent de leur support de représentation visuelle, auditive ou kinésique dans l’alchimie de la représentation symbolique de la langue.

Tout semble se passer comme si ces enfants en restaient à ce niveau antérieur de fonctionnement psychique où les critères de pertinence restent d’ordre perceptif, sans le transfert mental que permet le changement de point de vue de la décentration. Leur développement ultérieur s’effectuait alors autrement. Je prends donc en compte d’autres caractéristiques de leur développement.

La communication humaine s’établit sur une base psycho-affective et, de ce point de vue, je rencontre deux pistes.

La première, est celle de l’histoire psycho-affective, dont le maître-mot est « séparation », celle de la relation à la mère, en homologie pour l’acquisition de la parole avec celle qui est nécessaire aux mots pour se décontextualiser de la chaîne verbale et de leur contexte situationnel, à la base de la signification. Ce niveau implique également, pour la mise en ordre des unités signifiantes, la capacité d’identifier des unités plus petites, confondues dans une enveloppe intonative que l’enfant ne peut pas toujours assimiler d’emblée en respectant sa forme interne, ce qui est fondamental pour l’accès à l’écrit par la voie de la correspondance grapho-phonémique. L’autonomie du mot décontextualisé lui permet d’être réutilisé dans d’autres contextes dans la variation de ses emplois. Il s’agit, pour l’enfant comme pour le mot, d’accéder à une forme d’existence autonome.

La deuxième piste est celle d’un organisateur, le tiers séparateur, ce qu’on appelle communément, la loi du père, les règles, qu’il faut admettre parce que c’est ainsi, et appliquer. Ces règles passent par des mots, et ces mots n’ont pas à faire sens autrement que comme un fait social, transmis culturellement. Il y a là aussi homologie entre un fonctionnement social qui relève d’un fonctionnement de la langue transmise culturellement et la connaissance du monde qui passe par un élargissement progressif des milieux de vie de l’enfant dont il s’approprie les modes de fonctionnement intégrés aux cadres de l’expérience.

Cette homologie constitue une hypothèse qu’un de ces jeunes adolescents non-lecteurs met en mot de façon explicite dans certains commentaires. Il écrit à 15 ans à l’envers d’un gribouillis qu’il a fait à ma demande, « la peur qui mélange » et me dit peu après spontanément au moment de lire : « quand je vois beaucoup de mots d’un coup ça m’fait peur ». Il confirme son déficit phonologique l’année suivante «  j’entends pas les sons : j’les dis mais j’arrive pas à les séparer » au moment même où certains liens transversaux apparaissent dans un dessin que j’ai qualifié de « métabloquant ». Est-ce un lien d’un autre ordre ?

La question du lien symbolique reste à discuter dans ce contexte rééducatif car, non seulement le chercheur peut discuter de la valeur du signe linguistique en tant qu’unité indissociable, dans la mesure où le praticien observe une dissociation de façon récurrente, forme et sens mais il peut s’interroger sur les conditions de l’acquisition du langage oral en lien avec celle de l’écrit dans certaines formes de difficultés d’apprentissage. La mémoire est-elle seule en cause, puisque ces enfants ne se constituent pas de lexique visuel, est-ce un problème de structuration puisqu’ils ne peuvent s’appuyer sur des schèmes pour le construire ?

Si je reviens aux pratiques rééducatives, les entrées visuelles des tableaux servent de support, même pour la rééducation de l’écrit, à un travail d’analyse de l’oral qui allie la monstration de ce qui est perçu auditivement en le mettant en rapport avec une figuration iconique ou fonctionnelle, en tant que récepteur (identification des unités et des structures) tout autant qu’émetteur (plan de l’évocation et de l’élaboration). Ces pratiques peuvent être adaptées, aussi bien aux enfants de ma population de recherche agés de 3 à 17-18 ans qu’elles l’ont été aux adultes qui témoignent et éclairent l’après de cette période où se situe mon intervention.

Ces adultes ont réussi à compenser plus ou moins heureusement leurs difficultés à apprendre la vie et le maniement du langage. Certains semblent même avoir complètement dépassé leurs quelques difficultés de départ, processus que je qualifie de surcompensation. Il y a aussi ceux qui ont laissé tomber l’écrit et se sont orientés dans le champ artistique. La variation des réactions à l’égard des problèmes rencontrés au cours de l’apprentissage de l’écrit, pose le problème de la définition du langage et de ce qui serait pathologique dans la mesure où tous s’accordent sur l’observation d’un continuum des problèmes d’acquisition, même s’ils reconnaissent l’existence de troubles spécifiques.

Les troubles de l’acquisition du langage sont habituellement définis sur la base de résultats à des tests qui signalent les lieux d’intervention techniques, dans une conception stadique et modulaire. Ils sont pris en charge en fonction de méthodes et techniques, qui représentent des approches ciblées qu’elles soient transversales, par habiletés spécifiques, en direction des familles, méthodes qui fournissent des procédés d’étayage au sens où on l’entend en didactique. Dans le cadre de ma pratique, même si j’ai parfois recours aux tests, j’observe l’enfant pour le situer dans ce continuum des troubles de l’acquisition du langage tant oral qu’écrit, et je me demande dans le temps de la recherche, comment mettre en évidence, sur la base des corpus de nos interactions dialogiques, ce qui relèverait de problématiques spécifiques et/ou de différences interindividuelles.

L’importance de ces dernières m’a fait choisir une présentation de corpus qui favorise la comparaison. Elle se retrouve aussi bien dans la partie consacrée à la présentation de mes outils d’analyse que dans celle qui se centre sur les conduites linguistiques de base de cette acquisition, le dialogue et plus encore, du point de vue de l’élaboration par l’enfant de son histoire, point de vue que j’ai privilégié, la conduite de récit.

Pour la population que j’ai retenue, le diagnostic instrumental que l’on pratique habituellement en fonction de leur définition par l’OMS, ne dévoile pas suffisamment, les ressources cachées du sujet, le plus souvent occultées par le manque d’estime de soi que le regard de l’autre a contribué à créer. De quelle façon un enfant peut-il ne pas arriver à avoir confiance en lui. Ce qui participe au manque d’estime de soi, est peut-être une question centrale qui ne peut recevoir une réponse univoque. Le rôle de l’observation est primordial pour en faire l’analyse et participer à sa restauration. Elle intervient dans le cadre de l’interaction thérapeute/enfant, objet de l’analyse de cette thèse sur la base des corpus recueillis.

J.Zwobada Rosel


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