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3 . Parcours de vie 1 : Les maths, le Français,les langues à quoi ça me sert ?

janvier 2003

par Jacques NIMIER

Texte extrait de l’ouvrage de Jacques NIMIER : LES MATHS, LE FRANCAIS, LES LANGUES A QUOI CA ME SERT ? (L’enseignant et la représentatin de sa discipline) CEDIC NATHAN (avec l’autorisation de l’auteur) pages 13-15



L’échec

La lettre du lycée Pasteur de Neuilly est arrivée un mardi matin. Il y était dit pudiquement : "non admis en seconde, à orienter vers la vie active. " Evidemment après un redoublement en septième, un autre redoublement en sixième, un zéro constant en orthographe, un quatre en histoire - géographie et tout juste un neuf en mathématiques, il n’était pas question de me laisser redoubler une troisième. Le conseil s’était réuni la veille. je pense que mon cas n’avait pas posé beaucoup de problèmes et si à cette époque un professeur avait eu l’outrecuidance d’émettre l’hypothèse que je deviendrais peut-être professeur certifié de mathématiques, docteur d’Etat en psychologie, il aurait, pour le moins, paru bien peu réaliste à ses collègues. Et pourtant c’est ce qui m’est arrivé !

Mon oncle, commandant, de passage à Paris, est venu chez nous ce mardi midi et mes parents, effondrés, lui ont fait part de leur désarroi. Le soir, Je partais avec lui pour Rennes où la "Pension Saint-Vincent" m’accepta pour la rentrée suivante. je sais que beaucoup de jeunes n’ont pas eu la chance d’avoir, au bon moment, un oncle commandant capable de prendre une décision en quelques heures. Cet événement m’a beaucoup marqué et par la suite, J’ai souvent constaté qu’on portait des jugements définitifs sur les élèves parce qu’on ne voyait dans leurs mauvais résultats qu’une preuve d’inaptitude aux études ; la motivation, l’intérêt sont des composantes qui modifient du tout au tout la vie d’un élève alors que dans les conseils de classe on ne peut souvent que faire des constats.

Les deux lois

Il y a toujours eu pour moi la loi orthographique et la loi mathématique, l’une me paraissant arbitraire, l’autre impérative. Pourquoi mettre deux "m" dans "incommode", un seul suffit ! J’en avais la preuve dans le fait que tout le monde me comprenait quand je n’en mettais qu’un. Il n’en allait pas de même en mathématiques : un + à la place d’un -, un seul petit changement de signe rendait mon résultat faux et inacceptable. Les mathématiques ne me passaient rien , il fallait que je m y soumette. A l’inverse, l’arbitraire apparent de la loi grammaticale m’exaspérait alors que progressivement je trouvais des repères, une sécurité dans cette loi mathématique sur laquelle je pouvais compter, m’appuyer et avec laquelle je n’avais pas de surprise. Elle, au moins, ne me paraissait pas arbitraire puisque j’en pouvais vérifier constamment le bien-fondé.

C’était mon père qui m’aidait à faire mes exercices de maths, ma mère ceux de français et ma sœur, plus âgée de sept ans, ceux d’anglais. Qui m’aidaient... ou plus exactement J’avais compris qu’il était plus intéressant de faire faire à d’autres qui n’y voyaient pas trop d’inconvénients ce que je n’avais pas envie de faire moi-même ! Cela laisse du temps pour les "choses importantes". A l’époque, c’était pour moi la bande de copains, le "patro", les jeux qui me paraissaient l’activité la plus sérieuse du monde. Les grandes personnes étaient bien ennuyeuses. Elles imposaient une réalité de travail que je supportais avec peine grâce à une réalité de plaisir que je ne trouvais qu’à côté. Mais déjà, dans la mesure où les mathématiques proposaient des règles solides, elles devenaient un élément de sécurité indispensable pour moi.

Ces deux lois dont je parlais plus haut s’imposaient par des langages dont les caractéristiques sont très différentes. Il y a le langage mathématique et ce que j’ appellerai pour simplifier le langage littéraire. Dans l’un, rigidité et univocité de sens s’opposent à flexibilité et multiplicité des connotations de l’autre. La spécificité du langage mathématique entraîne peut-être un vécu particulier de cette discipline. Y trouverait-on plus facilement les règles, les lois dont on peut avoir besoin parce qu’on ne les a pas trouvées ailleurs ?

C’est donc très tôt finalement que les mathématiques ont trouvé leur place dans les composantes de ma personnalité, et le plaisir de faire des maths s’en est suivi.

Jacques NIMIER


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