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2. Pourquoi ce témoignage sur la Dyslexie

janvier 2003

par J.Zwobada Rosel

L’origine de la réponse qui suit est une demande que vous pouvez consulter sur le site

[...]Je suis, certes, orthophoniste mais ai été longtemps prof de linguistique ce qui m’a amenée à considérer ma pratique des dyslexiques et non-lecteurs de toute origine non seulement d’un point de vue psy mais du point de vue d’une langue qui ne fonctionne pas comme on l’étudie quand on est spécialiste (ce que j’ai du enseigner également). J’ai écrit quelques articles où j’essaie de m’expliquer là-dessus. Je prépare d’ailleurs une thèse d’Etat sur "Représentation et expression dans la prise en charge des troubles d’acquisition du langage oral et écrit" pour défendre la démarche d’un praticien-chercheur, de la pratique à la théorie donc.

Si j’ai diffusé ce témoignage c’est entre autre

-  pour donner l’occasion de s’exprimer sur le thème, on aurait pu contester le diagnostique que j’ai retenu,
-  pour mettre un peu à plat les belles théories des spécialistes, je ne citerai personne mais je l’ai remis à une collègue spécialiste des problèmes de lecture qui ne voulait pas croire que l’auteur du témoignage n’avait pas de maladie neurologique identifiée (et il n’y avait pas de note ni de commentaire à l’époque)
-  pour disposer d’un document qui peut (je l’ai fait et cite ainsi une mère) aider les parents à mieux comprendre leurs enfants dyslexiques
-  avoir l’occasion de discuter avec des gens comme toi, si tu permets que je te tutoie.

La question que tu poses me semble centrale et est rarement posée sous cette forme.

J’ai eu l’occasion de travailler en parallèle avec des Linguistes d’une autre école avec lesquels j’étais en profond désaccord. Je ne citerai pas non plus l’Ecole, mais, pour justifier le bien fondé de leur théorie du langage, ils " utilisaient " (de mon point de vue) des aphasiques, et un collègue a ainsi travaillé à détruire les "béquilles" que j’avais laborieusement mis en place avec des aphasiques (en Algérie, il y a très longtemps) pour tenter de rétablir le fonctionnement de type associatif ou syntagmatique qui manquait à ces patients. J’étais scandalisée car je pensais exactement comme toi et je reprends totalement à mon compte tes paroles " il faut laisser jouer, favoriser les stratégies de compensation, de contournement etc.. L’essentiel est bien qu’il parvienne à accéder à ces connaissances incontournables. " Tu parles des élèves en difficulté et moi d’aphasiques en cours de réhabilitation fonctionnelle et sociale. Pour les aphasiques, il s’agirait de reprogrammer, pour des élèves ce serait plutôt programmer sur d’autres bases, puisqu’il n’est pas question de perte d’une fonction mais de non activation en quelque sorte. Est-elle bien là prête à être activée ? On nous le dit, c’est le propre de l’espèce humaine. Les théories du développement nous l’enseignent. Mais quand ça ne se fait pas, que faire ?

J’ai entendu, depuis cet échange que je développe un peu, Ph. Mérieux s’expliquer à la télé sur l’évolution de ce qu’il pensait sur l’éducation à l’école. Il précisait que s’il avait défendu la thèse de l’éducabilité, avec la programmation par objectif (planifiés etc..) il pensait maintenant, j’espère que je ne le trahis pas dans mes reformulations, que rien n’était possible sans tenir compte de la liberté du sujet.

Clinicienne de formation, je n’ai jamais été partisan des thérapies comportementales que tu évoques, mais la question reste de comprendre pourquoi cette fameuse correspondance grapho-phonémique bloque tout. Les plus gravement handicapés que je suis n’intériorisent aucun lexique visuellement (je n’appelle pas intérioriser le fait de deviner de temps à autre) et les connexions entre forme et contenu ne se font pas. Il me semble qu’il leur faut comprendre pour retenir et tout saisir de l’intérieur.

Il y aurait encore beaucoup à dire. Je prépare un poster pour faire le point sur le parcours de non-lecteurs au collège, adolescents qui ont bien voulu témoigner devant mon minable camescope sur ce que, avec Frédérique qui était là au départ, nous avons bien pu leur apporter pour les aider. Au bout de 5 à 6 ans ils lisent et vont enfin pouvoir entrer en apprentissage.

Je ne suis pas très calée pour tout ce qui est ordinateur, Internet, et patauge, avec en plus très très peu de temps à y consacrer. Pour l’instant je ne fais que répondre à ceux qui s’adressent à moi. Tu es (via Frédérique) le deuxième.

Frédérique m’a adressé l’article de Gombert que je n’ai pas terminé car il reste très classique dans son analyse et sa présentation des points de vue des chercheurs. Je l’avais rencontré à un colloque et remercié pour son bouquin le développement métalinguistique de 1990 qui m’avait bien formée/informée, en contrepoint du point de vue de mes références de Linguistique Fonctionnelle. Pour moi l’illettrisme ce n’est ni l’analphabétisme, ni les non-lecteurs. L’amalgame nuit à la compréhension des processus impliqués et aux moyens à mettre en oeuvre pour y changer quelque chose.

J’arrête. A bientôt peut-être ?

J.Zwobada Rosel


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