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imprimer cet article ARTICLE PARU DANS LA REVUE INNOVATIONS 23/24 CRDP DE LILLE 1992
le dialogue et les échanges comme aide à la compréhension avec des élèves mauvais lecteurs
AVEC LA COLLABORATION DE E. NONNON
2002, par Frederique Mattei


La plupart des élèves de SES/SEGPA sont depuis l’âge de 6ans en échec scolaire ; leurs difficultés d’apprentissage se cristallisent, entre autres, dans d’énormes problèmes en lecture, et vis à vis de la lecture. Ces mauvaises performances sont aggravées par le fait qu’elles suscitent chez eux une intériorisation de l’échec, un désinvestissement dans l’acte d’apprendre, et des attitudes défensives (inhibition, réactions impulsives). Aider ces enfants à progresser en lecture suppose de lutter contre ces attitudes, d’essayer d’en construire d’autres : le travail en lecture s’inscrit donc dans une démarche pédagogique plus générale, que nous essaierons de définir plus loin comme pédagogie interactive. En même temps, c’est en travaillant la lecture elle-même et les démarches précises et nécessaires pour lire, en permettant à chaque élève en difficulté une réussite en ce domaine, que l’on peut espérer transformer ses attitudes et son rapport à l’apprentissage. Il me semble que cette double démarche ne peut se concevoir sans l’intervention des interactions orales.

L’équipe éducative de la SEGPA où je travaillais jusqu’à présent (SES du collège Marie Curie à Tourcoing) essaie de mettre en pratique, dans les limites du possible, une pédagogie interactive. L’oral n’y est pas une fin en soi, un domaine de l’enseignement du Français comme la conjugaison ou l’orthographe, mais il est un moyen pour apprendre, progresser, développer les compétences cognitives et modifier les attitudes de l’élève.

"Une pédagogie de l’oral n’est rien d’autre qu’une pédagogie active et interactive dans l’ensemble des disciplines, qu’une gestion du groupe-classe favorisant constamment la participation des élèves, le dialogue, la concertation, le travail en groupes"  : cette citation empruntée à PERRENOUD [1] devrait être, me semble-t-il, à la base des démarches de l’enseignant des démarches en SES/SEGPA.

Une pédagogie de l’oral selon lui repose sur certains principes : les savoirs et savoir-faire sont construits par les élèves eux-mêmes ; elle stimule les interactions entre les élèves et le maître, entre les élèves et l’objet d’enseignement, et c’est à travers ces interactions que se construisent les savoirs et savoir-faire ; elle stimule les élèves sur les connaissances qu’ils ont de leur propre fonctionnement cognitif et sur les stratégies qu’ils utilisent en situation de résolution de problème (elle tend vers une "metacognition").

A propos de l’apprentissage de la lecture dans une telle pédagogie, on peut se poser deux questions :
-  Quelle est la place de l’apprentissage de la lecture dans une telle pédagogie ?
-  Comment un élève, qui a des problèmes à l’oral, peut-il apprendre à lire et à comprendre à travers une pédagogie de l’oral ?

-Quelle est la place de l’apprentissage de la lecture dans une pédagogie de l’oral ?

Je partirai de l’analyse de CHAUVEAU [2] , qui insiste sur le fait que la lecture, loin d’être un mécanisme primaire, est une activité complexe et hétérogène, dont la construction s’opérerait sur plusieurs plans. Un enfant bon lecteurs met en œuvre simultanément plusieurs compétences (sans avoir forcément, au départ une maîtrise complète d’une en particulier : la combinatoire, la capacité d’anticiper...) et une démarche active de prise d’informations, pour se construire une image de ce que le texte raconte. Dans cette perspective, le lecteur se place dans la position de quelqu’un qui essaie de résoudre un problème, qui essaie de comprendre. L’acte de lire peut être assimilé, en quelque sorte, à une résolution de problème.

L’enfant mauvais lecteur, quant à lui, ne mettrait en œuvre qu’un seul type de procédure à la fois et aurait des difficultés à les coordonner à d’autres (ce qui est chez lui une difficulté générale, que l’on retrouve dans d’autres activités, même si, dans certains cas, cette difficulté se trouve spécifiquement en lecture).

Plutôt que de parler d’incapacité de la part de ces élèves, il semblerait plus probable qu’ils n’aient pas appris ou pas su mettre en place certaines méthodes ou attitudes indispensables pour cette démarche active de compréhension (se questionner, mobiliser ses connaissances, comparer...)

Ces capacités sont construites sans doute très tôt, dans l’interaction précoce autour du livre, dont ont bénéficié certains enfants ; si elles n’ont pas été mises en place, elles peuvent cependant être réapprises.

Si la lecture de petits textes est ainsi présentée comme un problème à résoudre, pour lequel on doit construire des attitudes de résolution, avec l’aide d’autrui, on voit bien comment la lecture peut être privilégiée dans le cadre d’une pédagogie de l’oral telle qu’elle est définie plus haut, constructiviste (l’élève construit lui-même son apprentissage de la lecture), interactive (la verbalisation aide à la formulation des problèmes, permet de confronter et de stimuler les stratégies des élèves en cours de lecture) et metacognitive (l’élève essaie de se rendre compte et de s’approprier les stratégies utilisées en commun pour comprendre le texte).

Comment un élève qui a des problèmes à l’oral, peut-il apprendre à lire et à comprendre à travers une pédagogie de l’oral

C’est à travers l’exemple de Jean-Marc que j’essaierai de montrer comment une pédagogie de l’oral peut aider l’apprentissage de la lecture chez des élèves en difficulté. Il s’agit là d’un cas extrême de non-lecteur (bien qu’ils soient 5 de la classe dans ce cas cette année-là), je pense que les grands axes de ce travail peuvent être élargis et transposés à tous les autres élèves qui savent lire, mais sans comprendre ce qu’ils lisent : une grande partie de ce travail est en continuité avec celui que je mène avec l’ensemble de la classe, sur la compréhension de textes plus longs.

Jean-Marc : un exemple de "non-lecteur" en 5ème.

Lorsque je l’ai accueilli en début d’année (septembre90) ; Jean-Marc, élève de 5ème SES du collège Marie Curie à Tourcoing, cadrait parfaitement avec la description stéréotypée de l’élève de SES/SEGPA évoquée précédemment. En effet, Jean-Marc était non-lecteur (il n’avait donné aucune réponse au test d’évaluation de 6ème en septembre89). Il avait été "muet" jusqu’en milieu de 6ème (un déblocage étant survenu en classe de neige ne février), il avait de gros problèmes de langage, dont certains relevaient de l’orthophoniste. En octobre 90, Jean-Marc apparaissait comme passif, s’exprimant très peu, il était souvent seul et participait peu aux discussions avec les autres ; on m’avait dit qu’il était complexé par son élocution.

En juillet 91, on pouvait avoir l’impression d’une véritable métamorphose : il se montrait très actif, motivé, il avait commencé à prendre la parole en classe et à argumenter, il lisait et demandait à lire. Lorsque le nouvel Astrapi arrivait en classe, il se précipitait dessus et me soumettait des textes qu’il aurait aimé lire, ou essayait de les lire lui-même ; il était capable d’essayer de répondre aux questions du texte sur les Inuits de l’évaluation de 6ème, qu’il n’avait absolument pas pu lire l’année précédente, en s’appuyant sur un document aide illustré et plus facile. Cette transformation, qui s’est opérée progressivement au cours de l’année, a justifié que je m’appuie sur son exemple.

Au départ, ayant volontairement fait abstraction du fait qu’il ait été cet élève si passif, si peu communicatif, je l’ai d’abord considéré comme un non-lecteur, et me suis attachée à ce point en priorité, pensant qu’un travail adapté en lecture permettrait des occasions de communiquer avec lui et le lui faire vivre des expériences de réussite.

Jean-Marc passait pour un non-lecteur absolu, et de fait, il était incapable, seul de lire un texte même court et facile. Mais il m’apparut qu’en situation de dialogue, en présence d’un adulte qui le relançait, reprenait ce qu’il disait, soutenait son attention, il était capable de déchiffrer (même s’il subsistait des erreurs), tout en étant incapable de se rappeler ce qu’il avait lu, et en ayant sans cesse la tentation d’abandonner ("m’en fous", "je sais plus"). Il est évident qu’étant scolarisé depuis le CP, il avait subi de nombreux apprentissages et méthodes de lecture, il possédait donc inévitablement des notions dans ce domaine, comme tous les élèves de SES/SEGPA. Mais il me semblait qu’il avait intériorisé son échec au point d’être inhibé, de ne pas savoir se servir de tout cet acquis, et que c’était la raison de sa passivité. Ainsi, toutes les fois que j’essayais de le faire parler ou lire, ses réponses étaient : "m’en fous" ou "ai oublié" : il pensait certainement ne rien savoir et était alors incapable d’actualiser ce qu’il connaissait déjà ; peut-être associait-il le fait qu’il ne sache pas à son incapacité personnelle, au lieu de l’associer à un manque d’information ; il ne s’imaginait pas lui-même en train de lire. Pour cette raison et étant donné son âge, il était impensable de recommencer avec une méthode de CP et de repartir de prétendues bases.

En dehors du climat général de confiance que j’ai essayé d’instaurer dans la classe, et particulièrement auprès de Jean-Marc, pour l’amener petit à petit à prendre la parole, j’ai travaillé tous les matins, pendant toute l’année, durant une heure, avec un groupe de 5 très non-lecteurs (dont lui), pendant que le reste de la classe travaillait par groupes de façon autonome. Ces 5 élèves déchiffraient tant bien que mal (de façon partielle, avec beaucoup de fautes et de lacunes), mais surtout étaient paralysés face aux textes, incapables de restituer leur sens : ils n’étaient pas capables d’avoir, devant eux, une attitude de compréhension active. Les écrits que je leur proposais étaient la plupart du temps tiré de Astrapi et du Journal des Enfants, revues auxquelles la classe était abonnée (ce qui jouait un rôle d’amorce pour lire la revue entière et permettait, surtout pour Astrapi, de travailler sur des textes plus faciles mais de type très varié). Le reste du temps, ces élèves étaient intégrés au travail sur des textes plus longs que je menais avec le reste de la classe, selon les mêmes principes (lecture prospective, écriture de petits textes ou de parties de textes au cours de l’activité de lecture, travail sur le questionnement).

-Les différentes fonctions de la verbalisation en compréhension

La verbalisation comme aide au maintien de l’attention et à la mobilisation dans la tâche

D’abord l’adulte : afin de maintenir leur attention, je lisais moi-même les textes soumis au petit groupe, puis je leur posais certaines questions, répétais ou reformulais leur réponse, etc.

Puis les élèves entre eux : petit à petit, ils ont appris à se poser réciproquement des questions sur la lecture ; d’abord le questionnement est resté très proche du questionnement proposé par l’adulte, puis il est devenu plus spontané.

Par exemple, à propos d’un texte du "Journal de Enfants" sur le divorce, Anthony (de ce groupe) demande à Jean-Marc : "Est-ce que tu as compris ? Qu’est-ce que tu as compris ?" (demandant de reformuler) mais aussi "est-ce que toi aussi tes parents ont divorcé ?" (essayant de mettre en rapport le texte avec l’expérience), "Qu’est-ce que c’est qu’un tribunal ?". Sabrina, incapable de se tenir seule à une tâche de lecture, même courte, a été prise en charge à partir de décembre par sa copine, elle-même lectrice, qui "la faisait lire". Le fait de partager cette activité lui permettait de maintenir son attention beaucoup plus longtemps.

Démarches mises en œuvre sur la compréhension orale

Les démarches de compréhension actives vis à vis du texte écrit, je les ai aussi développées, dans un premier temps, sans faire intervenir le déchiffrage proprement dit : je lisais moi-même les textes soumis morceau par morceau à Jean-Marc qui avait ces écrits sous les yeux.

Je pensais qu’il était d’abord fondamental qu’il comprenne que l’écrit avait du sens, qu’il était proche de la parole, et qu’il avait à faire des démarches actives pour le comprendre.

Pour beaucoup d’élèves de SES/SEGPA ceci est très difficile car ils sont en même temps occupés à déchiffrer. Ils ont souvent besoin de la voix, de son aspect concret (intonation, etc.) pour pouvoir reconstruire une représentation de ce qui est dit dans le texte. (Une des élèves de 5ème, Pascaline, s’en étant aperçue, s’enregistrait chez elle et se réécoutait pour pouvoir répondre aux questions du texte).

Par ailleurs ces élèves ne sont pas habitués à mettre en œuvre des démarches de compréhension en dehors d’une situation de dialogue où, par ses questions et ses reformulations, les adultes les conduit à comprendre.

Au début je lisais moi-même pour Jean-Marc, puis ses camarades ont pris le relais. Cela s’est fait au fur et à mesure qu’ils progressaient et prenaient confiance en eux. Puis Jean-Marc a fini par lire seul, sans solliciter d’aide. Mais le fait de lire pour Fayçal, à un autre élève en difficulté de ce groupe, constituait un stimulant pour lui.

Le dialogue comme moyen de susciter une attitude de résolution de problème

Il paraît primordial que les enfants abordent le texte comme un problème à résoudre, où ils ont à chercher activement des solutions. Dans certains cas, c’est le texte lui-même qui pose un problème et expose des solutions pour le résoudre, comme par exemple ce texte explicatif : Faux Faucons vrai danger

Un bon nombre de fictions peuvent être aussi considérées comme des problèmes. (Par exemple le personnage devra se tirer d’affaire, et trouver des solutions pour obtenir ce qu’il veut).

Le dialogue est souvent nécessaire, du moins au début, pour que l’enfant discerne bien et intériorise le problème d’où découle le texte, ce qui est nécessaire pour comprendre le statut des énoncés suivants.

Dans d’autres cas, c’est le dispositif lui-même qui suscite une sorte de problème concernant le texte :

-  par exemple le texte lacunaire : "Pour éviter le chant"

Mais un document de ce type est le support d’un dialogue où l’on aide l’enfant à comprendre la tâche, tenir compte des indices et des contraintes ("excuser mon fils" est exclu à cause de la construction "du cours de chant"), s’interroger sur l’interprétation de certains énoncés (par exemple, "un chat dans la gorge", expression que les enfants ne connaissent pas, mais dont ils ont pu deviner le sens figuré).

Le questionnement peut aussi faire prendre conscience du problème."Pour eviter les contrôles"

Par exemple pour les textes "les mots d’excuse", au début, les enfants ne se posaient pas le problème de qui avait écrit le mot et pourquoi. Ce questionnement visait à faire prendre conscience des problèmes posés par le texte : il s’agissait de problèmes de but, de conséquences, d’intention, d’énonciateur (qui écrit à qui ?).

La production écrite en collaboration, peut aussi être un moyen de susciter cette résolution de problème. Par exemple, les élèves ont dû écrire de faux mots d’excuses qui seraient affichés dans les couloirs du collège.

Jean-Marc et Anthony avaient écrit : "Madame,

Je vous prie de dispenser mon fils d’EPS parce qu’il est tombé des nuages et il pleut".

Quant à Sabrina : "Madame,

Ma fille s’est trop cassé la tête, elle ne peut plus réfléchir. Donc je vous prie de la dispenser de Maths".

Il s’agit de repérer dans le texte d’Astrapi les structures possibles (raison... donc demande de dispense ; demande... parce que...) d’y trouver des mots que l’on a besoin d’écrire, etc.

Mobiliser les connaissances

Il paraît important d’aider les élèves à mobiliser leurs connaissances, à rattacher le texte à leur expérience. En effet les élèves de SES ont souvent beaucoup de mal à mettre en œuvre ces capacités, et cela nuit à la compréhension.

Le fait de connaître un domaine intervient à plusieurs niveaux pour faciliter les inférences permettant l’attribution de sens.

La mobilisation des connaissances joue à différents niveaux :

+ sur l’attitude générale de motivation

+ sur la construction d’un cadre logique permettant des probabilités

+ pour actualiser un champ lexical

+ pour permettre la vérification, ou du moins un certain contrôle, par comparaison, de ce qu’on comprend

Cette mobilisation de connaissances peut être préalable à la lecture (avant de donner le texte, on parle du domaine qu’il aborde, on mobilise des mots ou des savoirs), mais la plus souvent, c’est après la lecture du début du texte qu’il semble utile de faire ce travail.

Le questionnement est un moyen de susciter la prise de rôle, de construire un cadre d’ensemble, de comparer à sa propre expérience. On peut alors se demander : "Est-ce que tu t’es déjà trouvé dans une telle situation ?" A cet égard, les pages "parents-enfants" d4strapi sont très utiles pour susciter le rapprochement avec l’expérience. Cette rubrique aborde toujours des problèmes auxquels les enfants sont confrontés et elle se termine toujours par des questions impliquant la prise de rôle, la comparaison à sa propre expérience. Par exemple la page "j’ai fait un mensonge" aborde le problème du mensonge et se termine par les questions : "et toi ? Mens-tu quelquefois ? T’arrive-t-il de mentir ?"

C’est souvent une découverte pour ces élèves, qu’un écrit puisse servir de médiateur dans un échange avec quelqu’un d’autre, être un moyen de parler de soi, qu’on peut se servir de ce qu’on connaît pour entrer dans le texte, etc. cette mobilisation est dans les premiers temps à construire explicitement, par le dialogue, après la lecture du premier paragraphe ou énoncé de la plupart des textes.

Pour le texte "Faux faucons, vrai danger", il m’avait semblé utile d’actualiser des connaissances préalables avant la lecture. J’ai donc demandé à Ludovic s’il savait ce que c’était qu’un rapace. Cependant le fait de savoir qu’un "rapace est un animal de proie qui fait peur aux autres oiseaux", et que faucon est un cas particulier de la classe générale rapace n’a pas empêché Ludovic de comprendre, "rapace en plastique" comme boîte posée sur le poteau.

Le dialogue avec l’enfant lui a cependant permis de prendre conscience de cette contradiction, (en essayant de remonter la chaîne causale, en questionnant, en comparant certains groupes de mots comme "rapaces en plastique" et "faux faucons") ; en essayant de lui faire se rappeler ce qu’il avait énoncé précédemment sur les rapaces. Si ces connaissances ne sont pas disponibles préalablement, elles peuvent être construites à l’aide d’un document plus accessible (imagé par exemple).

-  Exemple de document imagé.

Je propose à Jean-Marc un document préparé à partir des illustrations d’un "J’aime Lire", auxquelles j’ai ajouté des bulles contenant les informations les plus importantes. En commentant l’image avec ses camarades, il arrive à comprendre le contenu des bulles. Dans u second temps, je lui donne le texte, et j’essaie de discuter avec lui pour voir comment se servir du premier document pour comprendre le second.

-  Exemple du texte "Les Inuits

Après une première passation de l’épreuve, le texte sur les Inuits a paru très difficiles aux élèves ("mots difficiles"). Dans une deuxième séance nous étudions des documents que j’ai préparés à partir de documentaires du CDI. Ceux-ci comportent des images facilitant une représentation mentale (le kayak, l’igloo, les chiens en éventail...), donnant un contenu à certains mots inconnus (armature) et proposent des formulations plus simples (paraphrases).

Formulation du texte (Evaluation 6ème, 1989) : "On se servait autrefois de traîneaux pour la chasse. Les traîneaux étaient légers et leurs différentes parties étaient reliées de façon à avoir une certaine souplesse permettant à l’ensemble de résister aux chocs du tout-terrain : neige profonde, glace, roche. L’attelage était constitué de huit à douze chiens en éventail".

Document proposé : "Les Esquimaux se servaient de traîneaux pour la chasse. Ces traîneaux sont très légers et très souples, car ils doivent glisser sur des terrains très difficiles : de la neige, de la glace, des rochers. Ils sont tirés par huit à douze chiens". (L’image montre la disposition "en éventail").

En revenant au texte initial et à son questionnaire je constate :

+ que le simple fait d’avoir parlé à propos de ces images, d’avoir feuilleté le documentaire aide Anthony de façon spectaculaire.

+ que Sabrina et Jean-Marc en situation de lecture solitaire du texte n°1 ont du mal à transférer les connaissances acquises dans le dialogue à propos de documents plus faciles. C’est en dialoguant avec eux qu’on parvient, en partie, à les faire revenir aux documents plus faciles, les reformuler, comparer avec les textes difficiles, etc.

Le travail sur la mobilisation des acquis risque certes d’orienter trop vite les enfants vers la solution, mais j’espère qu’à force de les confronter à la question "est-ce que je me suis déjà trouvé dans cette situation ?", "est-ce que j’ai déjà entendu parler de ça ?" (une émission sur les Inuits à la télévision), ils vont la pratiquer de façon autonome, à titre d’outil, dans leur lecture.

Les amener à intérioriser ce questionnement peut aussi les aider à procéder à des comparaisons. Jean-Marc avait pris l’habitude de rapprocher ce qu’il avait compris dans le texte à d’autres sources d’information (une émission de télé par exemple) et de comparer.

Une des fonctions du dialogue peut être justement de les amener à procéder à ces comparaisons, pour voir les différences et évaluer ce que le texte leur a appris de nouveau : par exemple, pour le texte des Inuits, se rendre compte qu’un élément "nouveau" pour eux est que les Esquimaux n’habitent pas toujours dans des igloos.

Reformulation, traduction, leur importance pour susciter l’évocation mentale

Le dialogue peut aussi favoriser la reformulation, la traduction, pour soi-même, des contenus tirés du texte. Cette activité me paraît indispensable dans l’apprentissage de la compréhension :

+ elle constitue une démarche d’appropriation du problème à travers ses propres mots, d’intériorisation des informations ;

+ elle peut constituer une activité de synthèse d’un paragraphe ou d’une phrase, en aidant à se représenter mentalement la situation ;

+ elle aide à la vérification. Par exemple, les enfants peuvent se rendre compte que cela ne peut pas marcher, que c’est absurde, et ceci parce que la plupart du temps une discussion est déclenchée par l’adulte ("tu es bien sûr ? Est-ce possible ?"), mais aussi par les autres. La reformulation suscite facilement les conflits. ("Non ! C’est pas ça ! Etc.").

Les enfants arrivent très difficilement à mettre en œuvre la reformulation quand ils sont seuls avec un questionnaire, même si j’essaie, par la formulation des questions, d’éviter la correspondance terme à terme. Il semble qu’il faille passer par le dialogue pour qu’ils perçoivent la nécessité de le faire.

Accompagner et susciter les inférences les hypothèses

Dans un texte même simple, beaucoup d’informations sont indirectes, et le lecteur doit effectuer des opérations de reconstruction de ces informations, à partir des éléments qui lui sont donnés.

En cours de lecture du texte, le dialogue a pour fonction, d’une part, d’accompagner et de susciter ces inférences à partir du repérage de certains indices et d’autre part, d’envisager des alternatives, de formuler des hypothèses, d’anticiper la suite à partir de l’intériorisation du problème posé.

L’activité de lecture prospective est particulièrement favorable à ce dialogue, en ménageant des pauses en cours de lecture pour verbaliser ces démarches.

Exemple "pour éviter la piscine"

1- Pour éviter la piscine

Madame, L’armoire à glace du salon est tombée sur le pouce de ma fille.

2- Depuis, elle a un énorme panaris qui dégouline de pus, surtout quand on.................................

-  1er segment : le questionnement avait pour objectifs :

+ focaliser l’attention et s’interroger sur certains détails ("qui a écrit ?", "à qui ?"), repérer "ma fille" ;

+ dégager la finalité du texte (question : pourquoi a-t-on écrit ce texte ?" réponse dans le titre : "pour éviter la piscine" ;

+ cadrer déjà le ton du texte (question : "est-ce que c’est possible, etc. ")

+ anticiper les conséquences :

+ de l’événement

+ de la lettre

-  2ème segment : mise en rapport d’éléments situés à deux endroits du texte :

+ lacunes dans le texte à remplir à l’aide de la légende du dessin

+ éventuellement rapport d’invraisemblance (panaris/ chute d’armoire).

Exemple du texte "Faux faucons, vrai danger"

Le problème est posé dans la première phrase du texte : "Comment empêcher les oiseaux de s’électrocuter sur les fils électriques ?" L’arrêt sur cette question, la recherche de solutions, la formulation du but, ’comment empêcher...) a permis à Ludovic de revenir en arrière sur certaines de ses erreurs de compréhension lors de sa première lecture. Il a réussi, par le biais de la verbalisation, à fixer les relations de la chaîne causale. Question posée : "pourquoi les rapaces empêchant les oiseaux de se poser, etc.".

En faisant ce travail de formulation d’hypothèses, Jean-Marc a réussi à prendre de plus en plus la parole, à argumenter. On s’est d’abord moqué de lui, puis on l’a écouté. Le fait qu’il ait pris conscience de cette possibilité d’expression et d’une certaine maîtrise des contenus l’a amené à oser affronter des textes.

Quand Astrapi arrivait, non seulement il me le soumettait, mais il le prenait dans un coin et essayait de le lire.

Ce nouveau "pouvoir" l’a aidé à accepter la contrainte de l’exactitude et de la précision dans le décodage, et la nécessité de vérifier. Le fait qu’il m’apporte souvent les textes après lecture, pour mette à l’épreuve ce qu’il avait compris en me le reformulant, montrait qu’il avait le souci de contrôler sa compréhension (et aussi besoin d’être conforté dans son interprétation).

Evaluation et prise de conscience après la lecture

En cours de lecture et en fin de lecture, le dialogue peut aider :

+ à récapituler ce qu’on a compris, à l’évaluer, à analyser ses erreurs, à mieux mesurer son niveau de compréhension ;

+ à essayer de réfléchir sur comment on a fait, et à ce qu’on n’a pas réussi à faire

Livré à eux-mêmes, certains enfants ne se posent même pas a question de leur degré de compréhension. D’autres s’aperçoivent tout de suite qu’ils ne comprennent pas et renoncent, sans pouvoir aller au-delà de "je comprends rien" et localiser ce qui pose problème. Mais il arrive souvent que les élèves, même très mauvais lecteurs, trouvent le texte très facile, parce qu’ils croient l’avoir compris, alors qu’ils n’ont pas tenu d’un grand nombre d’éléments. Après une première lecture, Ludovic trouve le texte sur les faucons très facile ("parce que je comprenais tous les mots") et il reformule ainsi ce qu’il a compris : "il parle de faucon qui va se poser sur un poteau et à côté du courant et après il voit un ennemi et ils se mangent entre eux" (dicté à l’adulte)

En fait, il a isolé quelques signaux dans le texte "les oiseaux voient", "leur ennemi", "faucons", et a extrapolé à partir d’eux, en s’appuyant sur l’image et sur ce qu’il savait déjà (il dit savoir que les faucons mangent les autres oiseaux), sans du tout faire référence au problème de départ ("comment empêcher") et à la recherche de solutions.

C’est en discutant avec lui, à partir de ce qu’il a compris, que j’ai essayé de remonter la chaîne causale.

Par exemple pour la phrase : "quand les autres oiseaux les voient", je l’ai questionné :

"qu’est-ce qu’ils voient ?

Les rapaces, les aigles.

Comment sont-ils, ces rapaces ?

C’est pas des vrais, ils sont en plastique.

Qui les a mis ?

EDF

Quand les oiseaux les voient, qu’est-ce qu’il se passe ? etc.".

En lui faisant construire peu à peu le schéma causal pour comprendre le texte, j’essaie en même temps de lui faire prendre conscience de ce mode de raisonnement en termes de but, de causes, etc. Je vise aussi à ce que lui-même se rende compte qu’il s’est trompé, et à long terme, pourquoi il s’est trompé.

Sabrina, qui a à peu près compris le texte, le juge facile, et essaie d’expliquer pourquoi en verbalisant son raisonnement : "Il faut penser que si il a un oiseau en plastique que les autres ne doit pas aller alors j’ai trouvé que les autres oiseaux ne doit pas aller c’est pour ça que j’ai trouvé le texte facile".

Même si la description apparaît un peu circulaire, elle montre qu’elle a conscience d’une certaine activité personnelle de résolution ("alors j’ai trouvé", "il faut penser que...").

Il est peut être pédant d’utiliser le terme de "metacognitif" pour de tels échanges, car les formulations sont très embryonnaires. Mais rendre ces activités plus précises et plus proches de celles réellement mises en œuvre, relève d’un travail à long terme qui peut s’opérer modestement dans le dialogue.

Dans le texte sur les Inuits, Anthony, qui a commencé à répondre à la question 3 que les Esquimaux vivaient dans des igloos en dehors des périodes de chasse, revient avec moi sur ce paragraphe, nous en discutons, il s’aide des petits textes intermédiaires. En reprenant plus tard ses questions, il répond : "ils habitaient dans des maisons en brique". Il est capable, en fin d’activité, d’évaluer cette différence en répondant à la question que j’avais posée en fin de texte :

Donne 3 renseignements nouveaux que le texte t’a appris "Je pensé que il a bités dans des igloos".

CONCLUSION

L’impressionnante "entrée dans l’écrit" de Jean-Marc au cours de cette année et ses progrès objectivement importants en lecture et en compréhension (mais ce serait vrai aussi à des degrés divers, pour Sabrina,Fayçal, Ludovic et Anthony) sont le fruit d’un travail de groupe de tous les jours. Sans cesse il a fallu solliciter, guider, encourager, mettre en valeur les résultats, leur faire comprendre que leur succès dépendait de leur propre activité et de la mise en oeuvre d’un certain nombre de démarches.

Une telle pédagogie est appropriée à tous les apprentissages, mais elle n’est opérante que si elle s’appuie sur des contenus et des processus précis (ici les processus de lecture, les contenus particuliers des textes).

La difficulté dans une telle pratique de dialogue est de ne pas faire les choses à la place de l’enfant, de ne pas trop guider ses inférences. Il est important de veiller à ce que se soit lui qui construise ses compétences dans l’interaction.

Le temps de travail d’une année est trop court pour que je puisse avoir une réponse définitive : bien sûr Jean-Marc et ses camarades restaient très dépendants du réseau de socialisation de leur lecture qu’étaitent le groupe et le dialogue avec l’adulte [3].

Mais j’ai pu observer, en situation de lecture ou solitaire, ou à deux ou trois enfants sans adulte, qu’ils pratiquaient un certain nombre de démarches que j’avais essayé de mettre en place dans le dialogue. Il est important que ce travail soit pris en relais par l’équipe enseignante (ma collègue de 4ème travaille selon les mêmes principes) pour que des amorces de démarches, toujours fragiles, s’ancrent et puissent progressivement être mises en oeuvre de façon autonome.

Je remercie Elisabeth NONNON (IUFM de LILLE) qui m’a aidée (étayée...) dans ma réflexion et mon travail


[1] WIRTHNER, PERRENOUD P., MARTIN (1991) : Parole étouffée, parole libérée. éd. Delachaux et Niestlé

[2] CHAUVEAU : article dans SPIRALE 3, Lecture p31 ; & article dans les CAHIERS PEDAGOGIQUES, Lectures p 6 janvier 1989

[3] Cependant j’ai pu observer qu’anthony a commencé à avoir des conduites de lecture autonomes (il prenait des livres à la maison, alors que sa mère ne savait pas lire), même si ses démarches se faisaient toujours un peu par rapport à mon regard

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Thèmes abordés :
compréhension
Lecture, méta et compréhension
"Comprendre", ou du statut de l’image pour un dyslexique dans le fonctionnement de la mémoire. (Essai)
Manet
Vitesse de lecture et compréhension
Les mondes parallèles d’un trisomique (1)
dialogue
Habiter son corps et sa parole
Résumé de Thèse
étayage dialogique
La rééducation : un espace pour élaborer une parole habitée
Dysorthographie
Prise en charge d’un groupe de non lecteurs au collège (SEGPA)
évocation mentale
interaction de tutelle
Une aide à l’intégration scolaire d’un enfant handicapé.
oral
Diagnostic différentiel dans des familles en contexte FLE (Documents)
reformulation, verbalisation
Entrer dans le graphisme ?
Histoire en quête d’auteur(s).
Les mondes parallèles d’un trisomique (2)
2)Jeu symbolique et construction identitaire




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