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DISCUSSION AUTOUR D’UNE PRISE EN CHARGE (1) YANN Trisomique certes mais psychotique ? autiste ? ENTRER EN RELATION PUIS GRANDIR ? dimanche 1er juin 2014, par J Zwobada Rosel Avant propos De très nombreux articles tant sur le blog qu’ici même ont suivi pas à pas certaines des conquêtes de Yann.
... de narcissisme primaire, incapable de saisir l’autre en tant qu’être de désir, de dépasser un mode relationnel non hiérarchisé, de type fusionnel, qui ne différencie pas davantage, sur le plan social, la relation à avoir avec un adulte de celle qu’il aurait avec un camarade. [1] Les premières manifestations de prise de conscience de l’autre par Yann dans l’histoire de sa prise en charge (9-11 ans)La mise en place de la thérapie En tant que thérapeute de l’enfant, devenue amie de la famille, je ne pense pas pouvoir déterminer avec qui il était le plus en mode fusionnel de son père et/ou de sa mère, quand il est venu à 9 ans, sans langage, incapable "d’entendre" quelque contrainte que ce soit. Le père représentait bien la loi, l’autorité, il détenait la force mais partageait aussi une extrême complicité (ils avaient utilisé le chuchotement comme modalité relationnelle).
Ma relation aux parents était et est encore d’une totale confiance réciproque, à cœur ouvert si on peut dire. Il s’agit donc d’un travail partagé où le regard extérieur de la thérapeute a permis d’expliciter certaines réactions comportementales, de mettre en lumière les avancées dans différents secteurs, entre relation d’aide (Rogers) et guidance parentale. Le meneur de jeu a toujours été Yann, sa disponibilité du jour, ce qu’apportait le contexte de la situation présente, et ce qui s’était passé récemment etc... [2] Un article sur ce site même a présenté l’ensemble de notre "travail" au cours des deux premières années de prise en charge. Yann a grandi et l’adulte qu’il devient est toujours un peu en marge de ce que sa "trisomie" pourrait induire du point de vue de son développement mental. C’est pourquoi cet article revient sur ce développement si particulier de ses deux premières années de prise en charge. Deux faits méritent d’être soulignés avant de présenter les moments forts qui ont jalonné nos "rencontres",
A partir d’un puzzle d’emboitement de petites voitures (il n’acceptait que des puzzles), j’ai mis en scène un bref scénario en les posant sur la tranche et essayé de raconter une histoire. Il s’éloigne et passe tout de suite à autre chose, mais à la fin de son autre activité solitaire, il vient se mettre sur mes genoux, s’allonge comme un bébé, tout raide ; acceptant cette régression, je lui chante une chanson de nourrice.
Son évolution sur un an l’a conduit aussi bien à la représentation d’une maison en 3D qu’à des portraits identifiables par leur expression même, de sa mère ou de lui-même. Le dessin reste un mode d’expression privilégié par rapport au langage oral qui a mis des années à se préciser dans sa fonction de communication tout en étant très informatif pour la thérapeute sur les étapes de son développement mental. On a retenu de l’article initial des extraits concernant les moments forts qui, tout comme l’évolution de ses dessins, ont entretenu chez moi l’illusion d’une éventuelle pathologie autre que la trisomie [6] pour guider mon adaptation à sa façon d’avancer dans son appropriation du monde et pour envisager l’évolution de ses acquisitions ultérieures dans mon analyse. L’interrogation persiste. 1er extrait En l’absence de sa mère, Yann était venu avec son père et le réclamera pour d’autres séances. C’est alors que s’est produit un effet de rupture dans les routines qui s’étaient installées, car son père n’est pas à l’aise dans le fait de se laisser commander par son fils dans le jeu de psycho-motricité qui favorise l’intégration de la consigne lorsque l’enfant réalise lui-même les commandes sur le tambourin qui donnent le rythme, et l’activité, marche au pas, course, saut, tour sur soi-même, arrêt. Je m’adapte en modifiant l’activité et c’est alors que je fais une expérience bouleversante, je rencontre le petit garçon de 7-8 ans (il en a 9) apeuré qui est en lui, dans un premier échange de regards.
La fonction sémiotique du dessin s’inscrit d’abord dans la maîtrise d’un geste qui produit une forme fermée (cf. le nuage de Benji). Elle figure un contenant qui pourra prendre forme et devenir figuration. De séance en séance, j’arrive à arrêter l’activité de certains "jeux" de "travail" que je lui propose, même s’il l’a choisi lui-même, un entre plusieurs, arrêt juste avant qu’il ne se désorganise.
Il va trouver ainsi petit à petit des moyens d’expression qui ne sont plus seulement la désorganisation puis l’action, comme celle de se sauver, et admettre progressivement l’existence de règles.
Il a compris que je le comprends et par cette brèche peut s’introduire un monde de significations que nous partagerons pour qu’il se les approprie. La présence du père a introduit « un autre ordre » et si la mise en mots que j’ai faite de sa peur lui a permis de la contrôler, elle m’a permis également de substituer le langage, les mots qui posent les consignes, à d’autres modalités d’interaction dans notre relation. Je m’adresse à un grand garçon et non plus à un bébé.
2e extrait La maman va revenir assister aux séances et la progression de Yann se confirmer avec un nouveau matériel, le scéno-test, support d’expériences variées, de découvertes de règles avec les cubes pour construire une maison, la faire habiter par le train, puis y introduire les animaux, les poupées, et enfin organiser un jeu symbolique où l’agression se réalisera dans la mise en scène avec les jouets et non plus directement sur la personne de sa mère ou sur moi comme il le faisait jusque là avec certains animaux jouets. A une séance où le jeu symbolique a réellement fonctionné comme tel , par cette distanciation qu’apportait le jouet (à valeur de représentation symbolique des personnes agressées corporellement jusqu’alors avec un jouet), nous avons échangé un long regard de communication qui pouvait signifier d’avoir à deviner ce que je pouvais penser qu’il allait faire ensuite, sourire en coin, regard presque narquois dans le défi qu’il me posait. Je lui ai dit ce que j’avais compris. Il me montrait que non seulement l’autre existait comme différent de lui avec ses propres intentions mais qu’il était entré dans le jeu des théories de l’esprit ...
Si j’avais un jour rencontré le petit garçon mort de peur qui était en lui, j’avais ce jour là éprouvé le plaisir partagé d’être dans ce jeu des intentions prêtées à l’autre, plaisir qui a toujours été à l’ordre du jour de nos séances. L’évolution des supports de travailLes deux extraits suivants illustrent la façon dont une activité dans un certain champ, affectif pour le premier, psycho-moteur pour le second, introduit l’ouverture à d’autres acquisitions par l’impact de la motivation à découvrir (désir épistémique) et le jeu du transfert des compétences acquises à d’autres supports. 3e extrait Le "scéno-test" a évolué. En novembre de la deuxième année , son père l’accompagne, Yann s’installe dans sa stéréotypie et veut monter au grenier au dessus de nos têtes car « il y a quelqu’un là-haut » [8] .
J’émets l’hypothèse que le travail sur un plan affectif aurait ouvert la voie au transfert de règles d’un jeu à l’autre dans une activité cognitive, la distribution... ce qui suppose une certaine flexibilité mentale pour s’adapter de lui-même à un nouveau matériel 4e extrait Psychomotricité, Jeu des mouches, et entrée dans le nombre A partir de janvier, première année de prise en charge, sa mère assiste aux séances. Ses progrès se sont manifestés d’abord sur le plan psycho-moteur : dans notre jeu de marche avec le tambourin, on a inclus des consignes de marche/arrêt, puis de tourner, en plus du rythme marcher/courir. Il réussit plus ou moins bien à suivre la consigne avec un tuteur et l’apprend en nous (sa mère et moi) le faisant faire, prenant la place de meneur. Succédant au jeu de main chaude, le jeu des mouches a demandé dans un premier temps
Ce jeu a a vite pris sa place dans le cadre d’une séance et est resté longtemps comme une récompense à ses efforts de concentration sur une activité "cognitive" classique (puzzle, jeux divers). — Poser le cadre
— Ce n’est qu’après cette mise en place que le jeu a vraiment fonctionné dans tout ce qu’il pouvait lui apporter :
— Il lui a fallu également s’adapter à la façon dont l’autre participait, en ouvrant les mains et perdant des points, ou en ne réussissant pas à attraper le ballon et perdant tout... ce qui amenait à procéder au réajustement des points gagnés par rapport au nombre qu’il devait annoncer également, — et il avait ainsi à recommencer une série différente, en parallèle à celle qu’il avait entamée.
Plus précisément
Règles et LangageDans ses nouvelles activités, il lui fallait ainsi, non seulement tenir compte de l’autre mais aussi transposer de nouvelles compétences. Il y a donc eu toute une évolution depuis la première année. Les règles du jeu n’ont pas été constantes : de simple puzzle qu’il gérait à sa guise, on (sa mère ou son père et moi) en est venus à participer.
Yann tient compte de l’autre pour s’y ajuster selon certaines règles. Dans le courant de la première année, après le jeu symbolique, nous introduisons l’autre sur un plan de socialisation :
Son langage évolue en fonction de certains des jeux proposés. Sa mère m’indique qu’il nomme "des" objets maintenant avec l’article, et qu’il change beaucoup [13]. Mais on ne peut dire qu’il parle, cela viendra des années plus tard seulement [14].
Nous sommes ainsi entrés dans un travail sur la prise en compte de l’objet identifié par le langage, dans un monde qui a des caractéristiques spatiales (verticalité, horizontalité des objets et du contexte), est habité de bruits eux aussi identifiables et significatifs [16] , et avant tout en relation avec l’autre sur lequel on peut agir par des consignes résultant de conventions pré-établies. Parole, jeux et gestion des émotions5e extrait A la rentrée, deuxième année de prise en charge, il "parle" donc de plus en plus souvent, avec quelques "mots" qui présentent les déformations attendues d’un tout début d’apprentissage, et le schéma du haut du corps se constitue suffisamment pour qu’il finisse par le dessiner sans modèle [17]. Il me semble donc être dans un apprentissage de type cognitif. Mais je ne reprendrai qu’en fin d’année scolaire la dimension investissement du langage lorsqu’il sera entré dans l’expression verbale d’émotions sur la base de quelques formules, en lui montrant sur le bonhomme en bois comment cela s’exprime dans le corps par une façon de tendre les bras et de pencher la tête par exemple. Revenons au déroulement des séances et à l’évolution de leur contenu avec deux autres extraits. 6e extrait Un mois après la séance avec le scéno-test citée dans le 3e extrait, il me montre son album du centre et nous travaillons sur « la peur » avec le « match contre la montre ». Il sort les pokemons, [18] il nous aide à trouver la place de ceux du jour, nous les nommons pour lui, il s’excite et se calme. Il va ensuite jouer seul (à la toupie sur le tapis), car j’ai dit pas de bruit quand je parle avec maman à qui j’explique quelque chose, puis change spontanément de pièce.
Un autre jeu proposé va lui permettre de travailler avec une extrême concentration dans le champ de la verticalité : les mathoeufs figurent des personnages sur leurs pieds, et avec la mise en mot finale de sa mère qui donne sens aux regroupements opérés, en parlant de deux familles (elle ne l’a pas dit tout de suite, heureusement). La guidance fonctionne bien avec elle, sortir de l’apprentissage didactique (réflexe parental) pour voir ce qu’il peut organiser par lui-même, et bientôt, en dire de lui-même.
Il part jouer ensuite dans le séjour, prend la boite de légos et tombe, à côté dans une boite, sur un découpage collé représentant un arbre, sur un socle, je le vois essayer de le poser dessus pour le faire tenir avant de le laisser tomber pour partir avec sa mère car il est l’heure.
La séance suivante, les mathoeufs ne sont plus un même lieu de découverte comme s’il percevait l’aspect répétitif de sa démarche. Nous n’avons pas pu « jouer » au jeu du chasseur car ce qui l’intéresse, après avoir participé à la mise en place des données, c’est que le chasseur aille tuer les animaux. Il veut bien réaliser les bruits (sifflet, triangle, frapper dans les mains pour donner le signal) mais le code qu’il déchiffre ne l’intéresse pas en tant que déclencheur d’action.
La séance qui suit, il vient vers moi m’embrasser en me disant « je suis content de te voir, jacqueline ». Il a osé et su mettre en mots une émotion, j’en suis profondément émue. J’ai préparé les mathoeufs, cela ne l’intéresse pas et comme il y a le bonhomme en bois sur la table, j’ai l’idée de lui sortir une planche à encastrement en mousse où les bras et jambes des silhouettes sont en différentes positions.
Le jeu du scéno-test qui avait précédé un jeu dit de "logique", caractérisé par des agressions aux personnes présentes et déplacement sur des « représentants » avec force stéréotypies (balancement d’avant en arrière, et hurlements) aurait libéré une force vive en lui qui ouvrirait au cognitif.
Dans un autre domaine, celui de la communication, de l’émotion éprouvée et mise en mots (intonation comprise)il va découvrir les attitudes corporelles qui la suscitent et l’accompagnent ! Il a su "dire", sans que ce soit une parole répétée mais spontanée.
La séparationLes vacances approchent et après ces épisodes, il a mis en mot son inquiétude de l’absence de sa mère, réalisé un bonhomme en sélectionnant les parties du corps et non les éléments géométriques et à son retour, écrit son nom au lieu de se dessiner comme je lui avais demandé. L’écrit s’inscrit bien ainsi dans le champ de la séparation. L’avant dernière séance avant cette séparation est particulièrement représentative de la façon dont il "travaille" au niveau psychique. Il me montre son dossier d’école (IME niveau MSM), fier de ses acquis et veut tester la peur qu’il a de monter au grenier à l’échelle. Jusque là, ni sa mère ni moi ne le sécurisons assez alors que son père l’avait soutenu, et il avait pu... Mais il avait commencé par une amorce de régression (jeu de bébé accroché sur un fauteuil), régression refusée par sa mère, droit que je lui ai reconnu dans le cadre de notre travail, pendant qu’il nous entraînait vers l’échelle ! N’est-ce pas intéressant tout cela... Pendant que je cherchais un jeu, il s’est caché [20] derrière le rideau de l’échelle (qui monte à ce grenier) et n’a pas voulu de mon jeu (images à compléter logiquement qui s’appelle « chercher »)). Il attendait que je le trouve et comme je parcourais la pièce en commentant « il n’est pas là », il n’a pas attendu et s’est montré. Il est allé chercher les boites d’animaux en reprenant tous les animaux classés par boite et les a posés en colonnes. Je l’ai laissé seul le faire avec sa mère car je suis allée mettre en place un jeu sur l’ordinateur pour sa sœur.
Entrer dans un processus de séparation, permet à "l’objet" de prendre une certaine autonomie, notamment sur le plan relationnel. Yann a ainsi une autre forme de présence, il peut « être avec ». Il faut toujours s’adapter à lui pour qu’il comprenne des consignes simples. Il se montre relativement coopératif quand on entre dans son champ d’intérêt. Il est entré dans le "chercher/trouver" l’objet déjà là et est en quête d’identification et de reconnaissance. Il me semble donc que, même si Yann ne parle pas encore, au cours de ces deux premières années de prise en charge, il est vraiment entré dans l’"apprendre" et sa mère a fait preuve d’un génie inventif étonnant pour adapter à la fois ce qu’elle connaît d’un apprentissage (son expérience propre et la démarche du centre) et la démarche spécifique que j’ai essayé d’introduire pour lui aussi afin de faciliter l’accès au sens sans attendre qu’il maîtrise l’apprentissage des lettres et la combinatoire. J’avais procédé de même pour Juju(enfant IMC), qui, pris en charge à 3 ans, ne marchant, ni ne parlant, refusant tout contact physique, a pu passer par toutes les étapes du développement d’un enfant, dans un contexte d’étayage affectivo-cognitif soutenu et pas seulement langagier, rattrapant son retard pour entrer dans l’écrit sans problème. [21] DISCUSSIONInterprétation du jeu d’un point de vue développemental Ce qui est manifeste à cet égard chez Yann, lorsqu’il "jouait" avec le scéno-test, c’est le bond dans son développement que lui a permis ce mode de représentation impliquant la projection sur des jouets de pulsions, comme l’agressivité (le crocodile), des personnes dangereuses, comme sa mère et moi-même (des poupées). Il a progressivement intégré ces jouets à des scénarios relationnels impliquant les théories de l’esprit, entendues comme représentations que l’on se fait des intentions et représentations de l’autre, et a rencontré les limites du cadre de règles introduisant la distanciation des affects, par la mise en jeu de ces supports au lieu de pratiquer des agressions directes, à peine déguisée. D’autres mises en scènes pourraient l’aider à élaborer ses émotions comme le jeu l’a permis pour des enfants dans le cadre d’un travail d’élaboration de leur histoire et sur les conduites narratives. Dans les activités des deux premières années, il en était à découvrir le monde de la règle, et la capacité à s’imposer à lui-même de revenir pour travailler lorsqu’il s’était sauvé après un premier jeu/travail. Ce comportement souligne l’impact du développement affectif pour libérer le jeu des fonctions cognitives, confirmant l’hypothèse d’un éveil affectif/cognitif que j’avais remarqué chez les non-lecteurs, en donnant l’exemple de Mars (cf. diagnostic différentiel, le dessin d’un monde à l’autre).
L’ordinateur est devenu, peu à peu, le lieu de ce travail par la distance qu’il instaure
Il est passé par de nombreuses étapes, et à chaque fois qu’un exercice ou un jeu le mobilisait au point de faire apparaitre les stéréotypies, je les contrôlais, au bout d’un certain temps, en verbalisant ce que je pensais être leur signification, le besoin d’être rassuré sur son intégrité. Je n’hésitais pas non plus, quand je voyais une trop grande montée d’excitation, avant l’explosion ou la fuite, à la commenter et à l’inviter à aller faire pipi s’il en avait envie, et ainsi, il revenait calmé. Ce type d’interprétation prenait le relais de conduites symboliques où il me semblait être entré. Quand il a commencé à entrer vraiment dans le langage, les deux dernières séances avant le départ en vacances, en lien avec l’évocation de notre séparation temporaire, il a utilisé un pot de bébé des WC pour me laisser un souvenir (pipi caca).
Si je reprends la façon que Yann a eu d’intégrer l’expression des émotions :
Le titre : mots balises désuets ou éclairants ?Le titre comporte des termes qui n’ont plus cours en milieu scientifique, autiste, psychotique. Ils sont d’une autre époque et posent d’autres questions que celles que suscitent les nouveaux type de prise en charge d’enfant présentant de lourds handicaps. De mon point de vue d’ancienne, les implications théoriques de ces mots appris à l’université en psychologie,dans les années 50, ont nourri la démarche spontanée que j’avais avec Yann, en tant que praticienne, en deçà de tout programme pré-établi [23].
Je l’ai donc observé dans ce qu’il manifestait et, en fonction de ses réactions, j’ai essayé de l’amener à entrer dans notre monde de communication, entrer dans l’apprentissage d’outils qui favoriseraient son intégration sociale et lui permettre de se sentir être lui-même, quel que soit le niveau de son déficit intellectuel éventuel. Et c’est dans ce domaine, l’intelligence, que s’est produit ce qui pour moi, est un effet d’illusion, au-delà de l’illusion thérapeutique qui permet d’avancer. Il m’a semblé plus autiste que trisomique, autiste du point de vue des anciennes théories puisqu’il évoluait différemment. Avait-il des dons cachés, tout se passait comme si, parfois, il avait des intuitions fulgurantes [24] et l’évolution de ses dessins témoignait de cette différence... Je le percevais encore comme un petit garçon, en retard, mais plein d’avenir après ces deux premières années et, tout d’un coup, il est devenu « trisomique » avec tout ce que cela comporte comme limitations du point de vue du développement intellectuel. Cela s’est passé au moment où il « entrait dans les apprentissages ». Mais là encore, il n’entrait pas dans la norme avec quelque façon d’apprendre que ce soit ! Comme s’il repartait de zéro en quelque sorte, mais dans quelle voie ? Yann a perdu sa créativité en dessin mais les siens, beaucoup plus rares, se rapprochaient des dessins d’enfants tout venants, car il avait échappé au schématisme stéréotypé dont a témoigné Artus [25] et qui caractérise également ceux que réalisent des "déficients mentaux". Quant à la thématique de ces dessins, elle suivait celle des enfants du primaire, puisqu’on (sa mère et moi en anticipant sur la démarche de l’école niveau GSM) tentait de lui apporter l’outil de l’écriture alors que son langage référentiel restait très limité : il lui fallait apprendre à nommer, et comme il en était à deux syllabes, escamotant les autres, ce n’était pas simple, d’autant plus qu’il refusait de répéter. Nous avons tenté de mener de front les deux approches "éducatives", oral/écrit, pour les étayer l’un sur l’autre à partir d’images, de logiciels etc. mais les limitations de la parole étaient toujours là et l’aide que cela apporte à des enfants sourds n’a pas fonctionné. Et, autre paradoxe, il a développé, dès qu’il s’est mis à parler, un langage énonciatif, lié à la situation, commentant ses actions par des évaluations, exprimant ses émotions dans des formules stéréotypées d’ailleurs, que personne ne lui avait apprises [26]... Yann se montrait heureux de vivre, bonheur communicatif, même si par ailleurs sa résistance à répéter et retenir pouvait désespérer parfois son entourage. Il semble maintenant, pour ne plus être traité de « petit », il est « adulte » maintenant, il semble essayer d’apprendre dans le cadre d’une sorte d’écholalie qui se déclenche comme s’il tentait de s’inscrire dans la parole de l’autre. Il avait eu aussi quelques phases, « perroquet », que j’avais interprétées à sa mère comme une tentative de trouver sa propre identité de parole en s’essayant avec celle des autres... Yann a donc besoin, à ce moment de sa vie, à la fois d’un cadre où s’inscrire et de mots pour dire, en passant par la forme qu’ils doivent prendre. C’est l’objectif de ce travail d’expression sur des images, travail de langage qui démarre enfin à 19 ans... (voir cette évolution sur le blog dans un article sous presse). Le travail sur sa capacité à se donner des représentations de plus en plus complexes se poursuit parallèlement. Yann « est » ainsi pour moi une personne, très « différente », aux possibilités limitées certes, mais qui n’arrête pas de progresser en entrant dans l’âge adulte, comme un enfant, mais tellement plus lentement. Je ne peux que tenter de l’aider à s’intégrer au mieux à la réalité que représente son monde actuel, adapté aux trisomiques, tel que le lui propose la société. L’aider à ne pas basculer dans "son" monde à lui sans tenir compte de la réalité qui lui impose de s’adapter à une demande d’intégration sociale. [1] Je précise qu’il ne s’agit pas de poser un diagnostic mais de relever ce qui se manifeste au niveau du comportement. Sans donner tous les détails du cas, je dois signaler que dans le cadre d’un groupe thérapeutique « Identité trisomie » auquel il participait une fois par semaine, il est resté un an et demie sous la table, sans accepter de participer aux activités du groupe. Il s’est ensuite intégré progressivement et n’a plus ce type de problèmes après le début de la prise en charge. [2] Il est jeune adulte maintenant et les règles ont changé...Voir sur le blog l’article en lien [3] jeu symbolique entendu comme intégrant des formes représentant des objets qu’ont peut dire "sociaux" en ce sens qu’ils sont considérés comme remplissant une fonction dans un environnement social. Pour Juju, c’est un puzzle représentant des êtres animés (images parentales, animaux familiers...) qui a rempli cette fonction initiatrice, introduisant leurs relations dans leur problématique et leurs problèmes de communication, dans son cas particulier. [4] Il m’acceptait ainsi transférentiellement dans ce rôle de guide pour retracer avec lui les étapes du développement psycho-affectif, le corps à corps se transposant ultérieurement dans le "voix à voix" quand il a commencé à jouer avec à l’occasion de "spectacles" ou de tentatives de contrôler sa stéréotypie en l’intégrant dans l’activité même de cette forme d’expression vocale. [5] L’article présente l’évolution de ses jeux et dessins au cours de ces deux années, reproduisant les pages d’un ppt présenté à Nancy au 6e Festival de l’audio-visuel (2006). [6] comorbidité : autiste ? psychotique ? [7] A 19 ans, à ce jour, nous procédons à une Rééducation de la parole et du langage, avec la limitation qu’apporte le déficit intellectuel, plus que manifeste, même s’il a d’autres stratégies d’apprentissage que les enfants que j’ai suivis pour ce genre de troubles. [8] Selon mon expérience avec les enfants que je suis, dans la configuration de mon cabinet (échelle permanente pour y monter, mais trappe fermée), ce serait l’indication d’un travail qui peut s’effectuer à un autre niveau, de l’ordre de l’inconscient, peut-être. [9] Cette boite contient les petits éléments qui risquent de se perdre et qui relèvent de l’oralité, sans oublier le biberon pour la poupée bébé. [10] limite supérieure d’un exercice qui participe à l’autonomisation du nombre sur un plan cognitif en impliquant de l’extraire de la liste, en le construisant à partir d’un mouvement qu’on répète. [11] Caba J’ai longtemps cru que c’était une simplification de « pokémon » mais je crois qu’il prononce là la formule qu’utilise le dresseur de pokemon pour qu’il réintègre sa « boite » jusqu’à ce qu’il le libère à nouveau. Je ne développe pas ici toutes les transformations qu’il fait subir aux mots qu’il tente de capter comme un enfant qui découvre le langage, car je me centre sur les conditions psycho-affectives et développementales (chez lui retardées) de l’acquisition du langage. [12] Il a près de 10 ans. Le premier contact n’avait pas été simple. Il allait partout, très agité et nous avions du jouer seuls, toute sa famille et moi-même, assis par terre, formant un grand cercle avec nos pieds qui se touchaient, envoyant le ballon de l’un à l’autre en nous appelant par nos noms. Il regardait de loin, allant de ci de là... La deuxième fois, il avait accepté de s’intégrer au cercle car nous nous étions installés dans la salle d’attente, là où il voulait rester (il y a de nombreux jeux pour petits). [13] Il s’agit bien évidemment d’un "figement", ce qui n’a rien à voir avec un élément syntaxique autonome. [14] Il est passé du « chuchoté », comme à lui-même, à prononcer des syllabes avec déplacements et substitutions, sans maîtriser leur forme. Cela m’évoque l’instabilité du signifiant au début de l’acquisition du langage mais beaucoup plus figé et lent à se mettre en place. [15] Un CD jeux-récompense, le "Clic d’Api" lui permettra de se familiariser avec les commandes de l’ordinateur pour contrôler le geste et son anticipation,"La soupe au beurks" et de découvrir plus tard un premier récit animé, "Petit ours va au marché", introduisant le thème de la perte de l’objet (il perd son père) et un travail sur la séparation. [16] Cela s’applique aux dessins également : D’un tout autre ordre, un jeu d’association avait une des planches qui m’a permis de poser la trace, l’empreinte des pattes ou des semelles et de restituer à chacun la sienne, - amorce de la représentation sémiotique... [17] Après être passé par le modèle de Babar [18] qu’il a longtemps imposé ce support (tableaux et cartons correspondant)comme support de tout travail,(il connaît les programmes télé qui racontent les histoires correspondantes) et qui a permis des activités aussi bien d’ordre cognitif que langagier. [19] Ce qui me semble être à l’opposé de la démarche habituelle des jeunes enfants [20] Les enfants de maternelle et de primaire jouent toujours à un moment donné à ce jeu qui reprend le coucou voilà du bébé. Il reprend ainsi le parcours psycho-affectif d’enfants beaucoup plus jeunes. [21] Juju et Yann n’ont pas évolué de la même façon malgré de nombreux points communs au niveau des difficultés d’entrée en relation avec l’autre. Ils n’avaient pas les mêmes freins pour entrer dans les apprentissages. ... Oumi (enfant sourd appareillé) a du lui aussi découvrir un monde de significations mais a rattrapé son retard et s’est intégré à sa classe d’âge dans un circuit adapté à son handicap [22] Voir dans "Deuxième année" les § avec surlignage (gras) [23] voir « autisme », cf. autisme et psychose de Frances Tustin et l’image d’une « forteresse » non « vide » mais trop pleine d’angoisse, et, « psychotique » cf. l’enfant fou de Bruno Castets [24] Je m’étais posé cette question pour Benji, non lecteur que d’aucuns jugeaient "débile" [25] Voir sur le blog comment un travail sur la représentation de lui-même l’a aidé à en sortir [26] J’avais observé ce mode d’entrée chez Lucas, dysphasique,ce que j’appelais des commentaires d’action |
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