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Vitesse de lecture et compréhension (suite)
LECTURE SILENCIEUSE
dimanche 9 juin 2013, par J Zwobada Rosel


Le premier article inaugurait le 2e millénaire. L’orientation de la discussion de ce rapport éventuel entre vitesse de lecture et compréhension a changé du fait de l’introduction dans la population analysée des adolescents non-lecteurs, et le témoignage permanent d’un d’entre eux devenu adulte, qui doit passer de "déchiffreur" à "lecteur" pour pouvoir "écrire".

AVANT-PROPOS

Cet article actualise la réflexion issue d’une liste de discussion... sur vitesse de lecture et compréhension en l’an 2000 ! J’y notais l’intervention suivante :
"J’ai découvert Ph. Meirieu en écoutant des conférences diffusées sur la 5. Il y a un ou deux mois j’ai saisi au vol le fait qu’il avait changé de point de vue sur l’efficacité de la pédagogie par objectifs en précisant qu’il y avait non seulement l’éducabilité mais la liberté à prendre en compte. Il donnait l’exemple de la "programmation" d’un futur champion de natation : il ne suffit pas de tout avoir programmé, encore faut-il que l’enfant entre dans l’eau au départ..."
Pour illustrer une des pistes de difficultés persistant chez un dyslexique, je donnais l’exemple d’un enfant qui commentait la transformation de peux en veux "En lisant "veut" pour "peut", "je vois e-u-x, je me dis, je sais que c’est veux, donc ça ne change pas le sens de la phrase" (noter le transfert de personne !). Si on lui fait remarquer que si, il répond : "oui mais pour moi !" et ajoute peu après : "quand j’lis, j’comprends jamais c’que j’lis". Participent aux difficultés qu’il rencontre ce qu’il appelle "les mots scientifiques" (exemples : parallèlement, circonstanciel (les grands mots donc, et d’un lexique "méta"), mais aussi porte-fenêtre (dont le sens requiert une approche constructiviste quand il n’est pas associé d’emblée)... Il s’en explique longuement..."

L’article mentionnait dans la discussion l’intervention d’un enseignant, Michel Monot, nous faisant part de son expérience en particulier de l’utilisation de "flash-cards" : "Il me semblait alors, écrit-il, pour autant que l’on puisse lire dans les boîtes noires, que certains élèves avaient besoin de cette approche rapide pour cesser d’ânonner, ce qui était mon but, mais que d’autres avaient besoin de ce passage pour partir du sens et revenir aux mots pour retrouver leur composition."

PROBLEMATIQUE

Rappel de quelques étapes du parcours de « l’informateur » principal de cet article.

A 14 ans Miloud, en 4e SEGPA, non-lecteur, n’avait aucun lexique de base et de nombreuses incertitudes sur la correspondance grapho-phonémique. Nous avons suivi une démarche classique de rééducation centrée sur l’apprentissage, avec l’expérience des non-lecteurs de 6e, mais rien ne tenait vraiment et très vite, compte-tenu de son âge, il a été pris par la vie et ses contraintes, n’arrivant pas à intégrer, comme presque tous, ce qu’il en est du "temps", oubliant encore et encore aussi bien le "travail" que l’heure des rendez-vous...

Évolution de la demande

La demande de Miloud qui portait au départ sur « lire » s’est reportée, il n’y a pas si longtemps, à 23 ans, sur "écrire", mais peut-on écrire tant qu’on n’a pas réussi à lire couramment ? [1] Il n’a pas vraiment dépassé le stade syllabique (cf."ânonnement"), car s’il essaie toujours d’aller plus vite en devinant le plus de mots possible, faute de les reconnaitre quand il les rencontre, il retourne à juxtaposer les syllabes, sans associer les mots qu’il pose ainsi. Et pourtant nous avions travaillé à constituer un lexique mais le travail à peine commencé, il avait disparu un an...

Évocation ; feed-back auditif et compréhension
Les mécanismes en jeu.

Ces dernières années où nous avions repris le parcours de "lire" en "lâchant prise", il témoignait sur la complexité d’un processus "où le mot doit venir en bouche [2]" pour qu’il puisse se le faire entendre, déjà au niveau de la lecture.
Pour cela, il faudrait que le feed-back auditif fonctionne, ce qui n’est pas le cas, car c’est pour lui, une musique sans sens, à cette étape. La quête de sens n’intervient que dans une deuxième étape, lorsqu’il se relit en étant déchargé ainsi, pour un court instant, de retrouver la correspondance grapho-phonémique à établir à dans la première étape, avec le risque de ne pas passer par la syllabation au cours de cette "mise en bouche". Il parle même de "bouillie". D’où les nombreuses paralexies de tout ordre.
Dans les supports de "lecture", pour introduire le sens par un autre biais que celui du déchiffrage des mots ou de leur regroupement syntaxique, nous avons du "travailler" les modalités textuelles, identifier les signes de ponctuation et leur valeur pour la réalisation d’actes de langage, car il n’avait aucune notion de l’existence de genres de discours, en particulier des conventions établies dans l’écriture d’un dialogue ( : " -", incises etc...) et les "-" le font encore "bugger".

Plusieurs articles sur le blog exposent ce que Miloud se représente de ses difficultés à partir des corpus de ses mises en mots. car dans ces dernières, on retrouve, énoncées, des conditions nécessaires mais non suffisantes pour conduire à l’anticipation que mobilise l’activité même de lire.

Son parcours me laisse penser, grâce à ses propres mots qui explicitent son cheminement, qu’il lui faut d’abord s’entendre de l’intérieur pour se libérer de la forme ensuite, pour pouvoir commencer à lire vite des yeux seulement. Ce n’est qu’après cela qu’il pourra essayer de parvenir à une lecture silencieuse.

L’oralisation de la lecture, une étape vers la compréhension ?

En effet, Miloud, 24 ans, dit avoir besoin d’entendre ce qu’il écrit, comme ce qu’il lit, car s’il est entré dans une phase caractérisée par un dialogue intérieur au moment du changement de demande de lire à écrire, il a presque tout oublié de son apprentissage de la correspondance phonographique, avec des confusions persistantes, même si quelques syllabes parviennent à se reconstruire quand il essaie d’écrire. Il peine pour actualiser les mots. En lisant, il trouve qu’il se débrouille, à sa façon, et on peut penser que c’est justement cette façon, voie sans issue, qui le gêne pour lire couramment comme pour écrire.
Écrire n’est pas une simple transcription d’un propos oral, cela implique de pouvoir mettre à distance un vécu pour exprimer soit une information, soit un ressenti, dans un discours spécifique.

Un certain nombre de questions se posent alors :
-  Qu’est-ce qui le retient d’aller plus vite dans son parcours ?
au premier plan, le manque de régularité certes, donc de disponibilité
-  Est-il vraiment prêt dans la mesure où il oublie tout sans cesse ?
Ce qui mène à la question de l’évocation des mots et de l’appréhension des formes à tous les niveaux.
-  On est alors en droit de se demander s’il est capable d’organiser ce qu’il pense pour le restituer dans une forme donnée ?

Avant de passer au corpus des séances clés où la lecture silencieuse se met en place, nous allons revenir sur la présentation de corpus dans certains articles qui précisent ce qui prépare à la mise en place de la vitesse de lecture, qui ne peut s’accroître sans lecture silencieuse, et permettre la compréhension en mettant l’accent sur les différents plans à travailler :

les conduites langagières de base,
dialogue et récit

les différents codages à maîtriser
-  de la correspondance phono-graphique dans notre démarche
-  sémiologiques autres :
signes diacritiques en relation avec la pragmatique,
les marqueurs énonciatifs

l’attitude de lecteur
-  physique, distance, syncinésies, aides
-  motivationnelle,
l’implication physique,
la concentration,
l’anticipation
-  l’autonomisation qui ne peut venir qu’en fin de processus en reliant ces dimensions, en passant par l’intériorisation.

Extraits de corpus de Miloud

De l’oral à l’écrit, un passage nécessaire ?

La demande de Miloud évolue vers une centration sur "écrire" dans toutes ses dimensions car il veut devenir capable d’exprimer sa propre pensée, ce qui ne lui vient pas d’emblée même lorsqu’il s’agit de "raconteravant même de pouvoir écrire ". Cet aspect a été analysé et discuté dans un article sur la narrativité, présentant sur ce site l’évolution des écrits qui en avait résulté à l’époque. Le questionnement a été repris et actualisé dans "écrire pour un non lecteur" dont nous avons retenu cet extrait.

[Il avait eu déjà beaucoup de mal pour me raconter ce qui venait de lui arriver, comment cela s’était passé lorsqu’il était revenu du "pays" (le Mali), après l’enterrement du grand-père qui l’avait élevé. Il avait fallu passer par l’image, en lui faisant réaliser les tableaux d’une BD, pour lui permettre d’ordonner et de sélectionner le "à dire", support pour une activité de description d’image qui lui avait permis de se lancer pour le raconter puis pour l’écrire ensuite dans un tout autre récit...

Pour qu’il puisse "raconter", il lui fallait trouver les mots pour dire et les organiser, ce qui s’est fait avec le support de l’étayage du dessin qui situait l’énonciation des évènements du récit en plusieurs temps. Il avait fallu poser un avion orienté pour figurer le départ et l’arrivée, afin de "borner" le cadre spatio-temporel, et de ce fait, il n’avait plus que 4 "moments" à dessiner puis à raconter, situant son récit au niveau d’une description d’images (cf. recherche en maternelle).

Il semble avoir choisi ces moments en fonction des émotions ressenties, l’essentiel pour lui. Sa logique, car il s’agissait bien de "son" voyage, ce qu’il confirmera lorsqu’il réussira à écrire en reprenant les images comme support.

On retrouve dans cette approche les difficultés de sélection, la nécessité d’un support figuratif de type narratif, avec celle d’un travail sur l’inter image, et le passage par plusieurs types de mémoire,

L’écrit était venu ainsi dans un premier temps sous forme de titres , se limitant à l’essentiel sur l’image dans le temps du dessin.
Puis, l’étayage l’avait amené plus loin, grâce à un travail sur "l’inter image". Ce dernier avait permis de rétablir la chronicité d’un récit dans les phrases mêmes qu’il avait écrites dans cette dernière étape, une semaine plus tard.

... et il rappelait toujours ce besoin de "comprendre" pourquoi il n’y arrive pas.

Nous étions repartis dans les explications du fonctionnement cérébral, les deux hémisphères (l’accès à l’abstraction du signe de l’un (HG), la créativité artistique de l’autre (HD)), leur connexion, le niveau sous-cortical qui compense parfois, et les deux entrées auditives et visuelles qu’il n’arrive pas à connecter, ...]

Il n’est pas encore certain d’arriver à raconter et nous n’avons pas le temps de le travailler, si ce n’est indirectement par la lecture des "histoires" qu’il a choisies.

Sur le chemin de l’autonomisation

Lorsqu’il est enfin revenu ( [3]), c’est avec sa feuille de l’alphabet car il me dit "je n’arrive toujours pas...
...avec le e et le é
".
La démarche de notre travail a actualisé alors
-  le retour aux lettres pour faire les sons,
-  leur différence avec les lettres de l’alphabet qui les nomment
et de lui-même il interroge sur le "problème" (de leur valeur contextuelle) :
le "c", nous généraliserons au "g",
le u qui renforce, le e qui fait glisser...
En nous référant au carnet de tableaux versant "phonologie", où tout est inscrit et semble enfin prendre "sens".

C’était la première fois qu’il le demandait de lui-même, de cette façon, ciblant le lieu de ses difficultés souvent inventoriées, comme s’il n’avait rien "entendu" jusque là... du fonctionnement du système, faute d’avoir enfin identifié le "contexte" théorique où les explications prennent sens peut-être.

En comprenant ce qui se passait en lui, il pouvait devenir acteur de sa démarche de rééducation, rééducation dont nous allons explorer quelques séances, jusqu’à ce que s’installe la lecture silencieuse qui le libèrera de cette dépendance visuelle en quête de son "son", contribuant à son autonomie.

Une reprise de la lecture verticale lui a permis d’analyser peu à peu ce qui le bloquait encore, de retrouver des règles d’assemblage, de repérer ces différents codages qui restaient souvent problématiques, tout en réalisant l’anticipation nécessaire au contrôle de ce qu’il n’arrivait pas à déchiffrer et s’assurer de la cohérence du texte ainsi découvert. Il a pu ainsi progresser dans sa démarche de lecture linéaire.

Métacognition et expression

D’autres articles sur le blog balisent également son parcours ultérieur abordant d’autres problèmes rencontrés. "Des mots pour dire, pour penser (suite)" pose la question de l’évocation des mots pour arriver à lire et du contexte dépressif qui accompagne ce type de problèmes, approfondi par une réflexion sur la peur qui mélange en lien avec le sentiment de culpabilité.
En effet, une première approche avait posé les mots pour dire, car ce travail avait porté sur des textes qui abordaient sa propre construction identitaire tout autant que l’appréhension du monde qui l’entoure, afin de favoriser son insertion sociale.
Mais le handicap tenait bon. L’approche technique de la lecture était restée seulement à l’horizon du travail réalisé à l’aide de ces textes car il ne structurait en rien le texte écrit, continuant à déchiffre/ânonner sa lecture à voix haute, en quête des mots, même le plus souvent dans une relecture.

[Un exemple du contexte dépressif de cet apprentissage nous est donné dans la partie "le corpus d’une séance et son contexte"
-  Miloud semble très perturbé,

"là je suis dégoûté, malheureux, envie de..." :

-  Je l’interrompt et lui propose d’écrire ce qui se passe autour d’un grave problème familial dont on essaie de faire le tour.
Il écrit alors (en tête d’article) :

’je ne pensais pas en arriver là un jour’.

"Je suis atteint" en moi" :

dit-il. Il veut "lire" ce jour là mais nous avons envisagé comment sortir de ce problème... Puis il tombera malade.
Il va donc s’absenter 10 jours.
-  Quand il revient il annonce la couleur :

"un grand énervement en moi" :

Puis il demande à lire et prend une carte :

ça ne se fait pas

en commentant son rapport à écrire, avant de se mettre à la "lire pour lui", première étape avant de lire pour moi :

"j’ai toujours la sensation de ne pas être prêt... quand je me concentre j’arrive pas à poser des lettres qui..." "en fait, je lis souvent les magazines, des mots que je côtoie tous les jours. Je fais des recherches sur l’ordinateur, mais je parcours... d’abord les musiques, donc les chanteurs, leur biographie".

précisera-t-il ensuite, avant d’enchaîner :

"J’ai un problème pour faire venir les mots d’abord".

"Là c’est... mais j’ai pas les mots".

Il met ainsi l’accent sur ce qui relève d’un problème d’évocation discuté dans un article sur le blog.
S’il commence à s’autonomiser, cela doit passer par lire certes mais aussi écrire et représente un tel coût cognitif qu’il exprime en ces termes le fait de ne pas poursuivre son effort :

"En fait, j’suis feignant, un peu". ]

La continuité du travail entre les séances n’est pas de mon fait, c’est lui qui la dicte par ses choix de carte au hasard. Elle joue même sur un plan technique, préparant le passage du sens réel au figuré par exemple avec la lecture d’un livre pour enfants : le lapin et son ombre où il découvre l’humour et le plaisir de le découvrir en lisant. Ce travail est rapportée sur le blog jusqu’à ces séances où se met enfin en place, très progressivement la lecture silencieuse dans le parcours suivant de 4 séances rapprochées avant une absence de près d’un mois.

Le changement d’attitudes

-  Vers l’autonomisation

Miloud a changé sa relation à l’écrit. Il a du écrire lors d’une convocation au commissariat pour une perte de carte d’identité et y est parvenu, sans le stress habituel. L’écrit commence à remplir une fonction différente qu’il assume (identité, trace).
Il reprend son livre. Il n’y a plus de vocalisations mais des mouvements de lèvres au début, comme pour se lancer et conclut "à réserver pour les mots difficiles". Il demande pour un mot inconnu qu’il n’arrive pas à segmenter "gouailleur",il lui faut un rappel de la lecture verticale pour qu’il retrouve les lieux d’arrêt.
Il remarque que "dans ces livres aussi il y a quelque chose à tirer". Il est donc "motivé".
— Attitude physique :
Après avoir posé sa main sous le nez, puis le menton, puis rien, Malik semble bien lire des yeux.
— Attitude mentale :
Il a bien aimé une phrase mais n’a compris ’bonheur’ que quand il a réalisé son erreur de lecture : "les" vôtres pour ’le’ vôtre (toujours cette inversion du é/e) dans la phrase :’mais se focaliser sur leur bonheur ne vous aidera en rien à construire le vôtre’.
Il a compris qu’il ne comprenait pas et cherché le contexte.
Les yeux n’ont pas suffi non plus pour identifier ’vain’ ’personnalité’, puis sur l’autre carte : ’s’opposer’ et ’résider’, il a du faire bouger sa bouche.

Cet extrait est tiré de la première des deux cartes du jour qui lui ont permis non seulement de s’entraîner avec des mots parfois difficiles, de se lancer dans la mise en pratique de la lecture des yeux, mais également de poursuivre sa recherche de guide pour gérer ses propres problèmes relationnels : le modèle de couple, il ne cherche pas comme les femmes à "faire comme". Il faut accepter l’imperfection ’que le ménage soit mal fait’(ce qui nous renvoie à nos discussions sur le "lâcher prise".

-  Anticipation et gestion des émotions

Miloud arrive en se plaignant de ne pas arriver à la lecture des yeux seul. Nous reprenons pour qu’il puisse se le redire à lui-même quand il est seul et je lui confie : "j’ai le même problème pour écrire. On a besoin d’un guide (l’étayage) mais ce guide est à l’extérieur, il faut l’intérioriser" :
Se mettre la main devant la bouche pour ne pas avoir à penser à ne pas bouger les lèvres.
Il pensait bien à le faire, mais entendait du bruit.
Il est arrivé cependant à tout bien lire.
Il me signale qu’il s’est auto-corrigé : ayant lu "désigner" "pour dégainer", la suite, "leur épée" l’a fait revenir sur le mot pour le corriger. Il prépare ainsi l’étape de la construction d’un scénario...
La marche à suivre passe bien par se mettre en condition
— accepter le coût cognitif de l’effort à fournir (vouloir)
— bloquer la bouche (pouvoir)
— puis poursuivre sans la main à bonne distance du livre (ce qu’il a fait de lui-même progressivement).

Nous revenons sur ce qui se passe quand il est face au livre. Il s’explique :
Il a 30 secondes de panique au lieu de lire alors qu’il se parle pour ne pas être paniqué. Il précise :
"Je décris les émotions que je ressens à moi-même. Avant et à certains mots difficiles".
Je pose en hypothèse : "le coût cognitif élevé c’est toutes ces émotions..."
Il répond : "c’est (bien) beau de s’en rendre compte mais comment faire ?"
Je reprends une fois de plus : "petit à petit. Chaque fois tu gagnes un petit peu, c’est comme l’entraînement pour la course".
"J’suis d’accord avec vous madame."

Il lit des yeux la carte qu’il tire, rit parfois, se rapproche du texte pour le mot ’harmonie’ et nous discutons de son thème "l’amitié". Il va chercher le dictionnaire pour s’assurer de la définition "officielle".
Je lui fais remarquer "tu as vu comme ça vient tout seul maintenant". Il confirme
"Je suis content".
Mais ce compliment l’a déstabilisé en quelque sorte [4] car il bouge les lèvres à nouveau. Je lui dis "tu retournes en arrière" et il rétorque : "dites pas ça madame, dites pas ça".

-  Dialogue avec le livre

La main sur la bouche est nécessaire à chaque nouveau démarrage. Il reprend de lui-même le livre à la séance suivante. Il s’applique beaucoup, rit parfois et me l’explique en reformulant ce qu’il vient de lire. Je lui demande pourquoi c’est drôle ?
"C’est toute l’histoire !"

Il commence à manifester une conduite de "lecteur" : il pouffe souvent après avoir eu une mimique interrogative. Avant même de lire il remarque qu’ils vont l’attraper. Il s’accroche et en lit 4 pages, il en reste 5, il veut lire la fin...

Il tire une carte : "malade ?" "Ça c’est tout moi ça !" [5]
’Pour certains le congés de maladie est une occasion de plus de stress’. Il se dit obligé de lire fort la suite :
’il (le) subit avec un sentiment de culpabilité, il l’empêche de se reposer pleinement et donc de se rétablir’... Ayant omis de lire "le", il ne comprend pas, d’où son appel à l’aide.
Puis une autre carte : "maudite routine". "la vie étant un cocktail de stress et de routines". Il s’agit donc de changer de façon de procéder, lui pour lire par exemple. Il se propose de partir avec le livre "le passeur" pour son déplacement en province.

Il reprend un mois plus tard sans avoir pu réellement s’entraîner, 2 séances rapprochées pour se recadrer en quelque sorte.

"Ne pas avoir honte de qui on est". Il aime beaucoup cette formule que je lui propose.
La 1ére carte qu’il tire est ’range ta chambre’ qui le fait associer sur sa mère qui aurait tendance à fouiller sa chambre. Je suis obligée de reprendre une même analyse. Seule maintenant, elle le considère comme un petit garçon qui lui doit respect et obéissance et admet mal qu’il ait un rôle d’adulte responsable. La séance suivante je préciserai même que c’est une question de "face" pour elle.
La 2e carte qu’il tire concerne ’l’ordre des choses’. Il a du mal à lire "faites régulièrement le point sur ce que vous (vous) imposez". Il avait non seulement oublié le vous (pronominal) mais pas intégré le "ce que" pourtant prononcé, alors qu’il réalise de lui-même qu’il y a un 2e "vous" qu’il avait escamoté. Une hypothèse serait qu’il ne se dit pas à lui-même tous les mots grammaticaux [6]...

DISCUSSION

La vitesse de lecture ne peut s’installer que par l’automatisation du geste mental de lire, entraînement qui implique la lecture silencieuse.
Miloud y arrive presque et c’est son parcours qui permet de proposer une analyse de ce qu’elle implique.
Il en a témoigné avec ses propres mots et nous permet de reconnaitre des pré-requis au lire/écrire dans ce qu’ils partagent :
-  deux conduites à la base :
— appropriation de la conduite de récit pour l’aspect textuel : le questionnement du schéma narratif rejoint celui qui fait émerger la structure de la phrase quand on l’analyse, en simplifiant : qui fait quoi, où quand, comment ?
— le dialogue d’étayage qui a permis l’intériorisation du questionnement cède le pas au dialogue avec le texte, à la base de sa compréhension.
-  ce dialogue demande
— la maîtrise des aspects techniques, outils de la distanciation qui impliquent celle des différents codages sémiologiques déjà présentés
— de même que celle des "attitudes" tant physiques que mentale.

C’est cette dernière étape, celle des attitudes, qui est venue au moment où Miloud était prêt, comme en témoignent les dernières séances évoquées.

Il a réalisé une figuration des difficultés de son parcours, avant même ses mises en mots, avec des dessins qui l’aident à faire venir ces mots en leur donnant "sens" :

Le premier gribouillis est évocateur de l’impact de l’affectif sur le cognitif, "De la peur qui mélange", le 2e marque, un an plus tard, l’apparition d’une différenciation entre paradigme et syntagme.

Quant aux deux flèches que nous consultons fréquemment, il y mesure ses progrès.

1ère fléche
-  La première a ouvert à une travail personnel à partir de textes initiatiques


-  La seconde illustre bien les tâtonnements actuels.

Si la lecture est devenue silencieuse, elle reste excessivement lente car il n’arrive pas encore à utiliser la voie d’adressage qui lui permettrait d’identifier des mots (ou radicaux) dans les mots quand ils sont longs, faute de disposer d’un lexique automatisé suffisant. Mais il arrive le plus souvent à maîtriser la panique que ces mots déclenchaient auparavant, ce qu’il appelle le "bug", "là je me mélange, je suis paniqué" car il y perd ses moyens, et à poursuivre. C’est aussi en relation encore avec l’environnement.
Il est contraint de retourner souvent en arrière pour que les mots enfin identifiés prennent sens, sans négliger de poursuivre pour s’éclairer du contexte.
Il en est à une phase d’entraînement personnel qu’il n’arrive pas à actualiser suffisamment pour acquérir la vitesse qui le différencie d’un lecteur.


[1] Vinci rencontrait ce même problème en CE2, mais il a compris qu’il n’avait qu’à écrire sans penser à rien d’autre. Il s’est lâché grâce à la compréhension d’un maître qui n’a pas sanctionné ses fautes.

[2] selon ses propres termes

[3] nombreuses absences en lien avec son travail, sa santé ou des problèmes familiaux

[4] Je l’avais déjà remarqué chez les enfants de maternelle, une évaluation positive n’est pas toujours un plus

[5] Il est très souvent malade ayant un terrain allergique aux produits utilisés, il verra le médecin du travail à ce sujet.

[6] J’avance l’hypothèse qu’ils sont des brouilleurs de sens pour les dyslexiques qui s’appuient sur les éléments sémantiques pour construire le sens. Il n’est qu’à voir certaines prises de notes.


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