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6 - Construire le temps de l’autre Manu*
MOTIVATION ET INVESTISSEMENT
vendredi 31 juillet 2009, par J Zwobada Rosel


L’aller retour de Manu* chez lui pour chercher le bulletin oublié devient, "j’ai un peu de temps" ce qui permet à son frère de se mettre à parler avec lui, puis,après quelques échanges, lorsqu’il réalise qu’il lui faut venir, de s’arrêter en route sous ma fenêtre pour parler avec le père d’un enfant qu’il connait, enfant qui cherche avec son père le skate qu’on vient de lui voler.

L’article proposé ci-dessous voudrait illustrer, à partir de situations concrètes qui soulignent l’importance du contexte dans l’ici et maintenant de cette situation, mais aussi l’importance des éléments répétitifs qu’elle comporte, l’hypothèse posée au départ de cette rubrique. On y montre la difficulté d’un enfant, Manu*, à sortir de l’instant pour accepter les règles que son cadre de vie lui impose, comme si chaque instant était aussitôt oublié, faute d’entrer dans un schème où le temps construit l’avenir en s’étayant sur un passé reconstruit.
On interroge ainsi l’hypothèse de travail qui avait été posée dès le départ, retrouver des bribes de son histoire lui permettrait de devenir le narrateur d’un récit de vie, en entrant dans la chronologie d’une part, pour en oublier dans un deuxième temps l’effet traumatique des évènements reconstruits et se projeter dans l’avenir.
Mais il semble bien que l’impossibilité d’entrer dans un cadre qui construit des règles, lui interdirait la gestion du temps nécessaire à son intégration sociale.

Avant-propos

Le contexte situationnel
J’appelle chez Manu* au bout de 3/4 d’heure (nous avions convenu de 10 minutes pour un aller retour), et regarde par hasard par la fenêtre, je le vois et dois me fâcher depuis le 5e étage pour qu’il vienne de suite !...

...C’est désespérant... Que veut dire pour lui "un peu de temps"... Son temps à lui... interrogé il ne peut s’expliquer, bien sûr, il n’a pas les mots faute d’être au clair avec des sentiments qui se complexifient [1].

Retour sur le parcours
Je ne peux que lui répéter le fait que je suis payée pour lui faire confiance, mais que je ne sais plus à "quoi" [2] me fier. Je situe ainsi notre relation comme différente de celle qu’il a avec son père, sa famille, ses enseignants, spécialisés ou non. Je ne lui demande pas pourquoi il ne m’a pas rapporté le bulletin le jour de la rentrée... Il est évident qu’il savait d’avance que je ne pourrai m’empêcher de lui demander des comptes en quelque sorte, comme d’habitude, sa seule réponse serait le mutisme.
J’avais vérifié que l’encadrement prévu au conseil de famille fonctionnait (selon ses dires) pour ne plus m’occuper du suivi de son travail scolaire, entre l’aide aux devoirs qui suffisait m’avait-il affirmé, sauf le mercredi où sa (demi)sœur, fille de sa belle-mère, prenait le relai... Nos rencontres se centraient alors sur son évolution personnelle sur le plan cognitif et affectif, présentée dans les deux articles précédents, Modificateur ? projet de vie, amorce d’un changement, en particulier de stratégies cognitives, et Ultime résistance ? la régression à la trace sur les murs des toilettes, lui ouvrant la voie de la symbolisation, la sortie du mutisme.
En réponse à son récit du nounours muet [3], je lui avais proposé de lire "Thomas et le crayon magique" [4], ouvrant non seulement à l’imaginaire, mais répondant par un crayon et le dessin à la solitude du héros, prémisses de l’ouverture qu’apporte l’écrit. Ce livre cible des enfants de 3 à 6 ans, âge critique de 3 ans dans une perspective développementale [5], où tout s’était passé pour lui pour l’empêcher de s’organiser dans son développement psycho-affectif [6]. Il aurait bien perçu mon intention de retourner avec lui à cette époque de sa vie, et me l’a indiqué en s’étonnant de ce que le héros, sorte de bonhomme pantin, une fois sorti de la boite par la porte qu’il avait dessinée, ne cherche pas à établir de relation avec des humains, s’en tenant à se donner des objets en les dessinant, et un ballon comme ami.

"C’était comme ça"

Ce vendredi, quand il finit par arriver, avant de commencer une de nos activités habituelles, je me risque à dire (ce n’est pas systématique) : Il y a quelque chose dont on pourrait parler ? Il a un tout petit "oui" en se recroquevillant un peu...

Il n’est plus "muet" [7]. Il me le dit lui-même. Il y a bien eu un évènement dont il serait bon de parler. Il n’est pas entré au collège mercredi matin, le chauffeur de taxi l’a signalé au père puis au collège et le quiproquo s’est installé, car il ne peut s’expliquer clairement sur ce qui s’est passé ni donner les raisons de sa conduite.

Nous parlons donc. Il me donne une version résumée [8]. Nous reprenons tous les points qui rendent compte de ce que j’appelle le quiproquo...

Je reprends la question de "à qui parler". Il faut donner les informations qui correspondent à la situation et s’adapter à l’interlocuteur, tenir compte du contexte (espace et temps) et de l’Autre. Le support en sera son dernier manquement à la règle : l’école buissonnière de ce dernier mercredi matin. [9]

Dès qu’il a eu précisé qu’il n’y avait rien de particulier ce matin là (cours à éviter par exemple), la discussion centrée sur la compréhension de ce comportement qu’il ne peut justifier autre ment que par cette réponse "c’était comme ça", a mis en évidence son questionnement sur -"Qui" il "est" ?-.

Est-il dyslexique ?

L’Autre "pair" et sa différence
Il se considère comme différent des autres dyslexiques de l’UPI. Il a moins de problèmes partout (dans les autres matières que le français).

-  Il reconnait cependant sa lenteur par rapport aux autres de la classe où les DL de l’UPI sont intégrés.

Communiquer avec l’Autre "adulte"
Du côté de ce que je souligne relever de problèmes de communication, je différencie ceux qui sont psy des autres interlocuteurs potentiels de sa vie. Seule la psy de l’école a su le mettre en confiance, me dit-il, et il avait parlé avec elle seule. Sûrement pas avec le psychothérapeute qui l’a suivi 2-3 ans, chez qui il ne faisait que dessiner.

Se situer pour l’évaluation prochaîne (passé/avenir)
J’essaie de lui proposer quelques formulations qui pourraient l’aider à situer son problème au moment de la réunion de l’Équipe Éducative qui s’approche.

1. C’est trop dur j’y arriverai jamais
2. C’est très dur, j’ai peur de ne pas réussir
3. C’est très dur, je suis trop fatigué de faire des efforts
4. ...et de ne pas réussir comme je voudrais être

Il commente alors,
— « pour 1 (y arriver), on n’essaie même pas » il précise,"c’était pour le Primaire et la 6e"
— « Pour 2 (avoir peur) on est en plein dedans. J’ai des fautes », C’est donc en 5e, cette année même)
— « Pour 3 (efforts) je veux bien essayer d’en faire »

Il revient sur son passé :
il n’arrivait pas à faire même ce qu’il savait, il oubliait, il se rappelait qu’il oubliait... jusqu’à se dire « je vais devenir superbête ! »

Nous reprenons la question de la dyslexie
De lui-même il revient sur sa différence, il se pose des tas de questions :

Il essaie de me donner quelques pistes :
— « si je suis pas unique, si les gens ils voient comme moi ?... Si je vois les couleurs normalement : le marron est-il marron ou une autre couleur ? ».
C’est un moment où il développe une pensée reprenant à son compte certains de nos échanges, mais les argumentant par des exemples venant de ses propres réflexions. J’essaie de le rassurer car je le sens inquiet, toujours ce besoin de comprendre...
Je lui rappelle que le DL doute toujours de tout : l’insécurité...
— Il se questionne sur Dieu. « J’entends des trucs... par rapport à l’impossibilité,.. comme la mer qui s’ouvre. »
Je lui parle alors de métaphore, rappelle notre discussion sur le symbole...

-  Il me dit alors « je n’arrête pas de dessiner » [10].

Le travail du temps

Le rapport au "travail"

Le présent
Au cœur de nos discussions sur la prise en charge de ses difficultés avec l’écrit, la question des stratégies :
— il y a celles qu’il s’est données en essayant d’apprendre comme on le lui demandait, que ce soit dans le primaire (enseignement), ou au collège (les techniques de mémorisation de l’UPI). Nous avons souvent discuté de l’efficacité toute relative pour lui de ces « méthodes » qui mettent l’accent sur les représentations visuelles.
— Je lui rappelle le conflit qui surgit de l’effort que je lui demande en lui proposant d’autres stratégies qui sollicitent un contrôle conscient quasi permanent..., comme les jetons, un dialogue intériorisé... outils qui lui ont permis d’aborder l’univers de la syntaxe et selon mon hypothèse, de disposer d’un cadre favorisant une structuration psychique.

Le futur proche
Nous revenons sur l’urgence de faire ses preuves dans ce qui reste du trimestre s’il veut passer en 4e, et revenir à F* de surcroît.

La gestion du temps

La deuxième question à l’ordre du jour concerne LE TEMPS en tant que paramètre non d’un projet mais de tous ses actes mêmes. Nous avions déjà évoqué il y a un an ce problème, [11] en travaillant sur la différence entre la valeur objective du temps, et la perception subjective de la durée. [12] Il s’agit maintenant du temps en tant que cadre organisateur, participant à une planification.
Reprenant la situation présentée au départ de l’article où selon ses propres dires, il avait le temps, je lui fais remarquer que “pour l’instant le temps c’est ton temps, comme tu en as envie”. J’énonce que la Règle inscrit un temps pour faire les choses. C’est bien à un non respect de la règle, que correspond son comportement lorsqu’il a tourné le dos à la porte du collège au lieu d’y entrer, sans projet ni raison particulier me dit-il car il est parti comme ça ensuite...

Je reprends alors sa résolution : « je vais travailler » en précisant ou "essayer de ?", c’est-à dire sans faire n’importe quoi, et je reviens sur
— la 4e proposition "ne pas réussir comme je voudrais être" en lui demandant ce qu’elle représente pour lui.
Il me répond par un silence, tête baissée. Je poursuis "Est-ce que ça entre en ligne de compte". Il répond alors « on peut dire ça ». Je précise par rapport à « être »... [13]

-  Il se saisit de la souris [14] qui "parle"... et en s’en allant avec me demande s’il peut l’emporter.

La situation va-t-elle empirer jusqu’à la rupture ?

Nous devions nous revoir un jour férié pour nous mettre d’accord sur sa participation à l’équipe éducative et préciser jusqu’où je peux aller lorsque je parle de notre travail car je suis tenue au secret professionnel. Il a oublié de me rappeler et veut bien parler un peu, mais au téléphone (des copains l’attendent). Il n’a pas envie de reprendre sans cesse les mêmes thèmes, même si nous avançons un peu plus à chaque fois, mais je veux m’assurer par ce dernier point que je puis me permettre de donner mes hypothèses reposant sur nos dernières séances.

A ma demande, la principale adjointe l’appellera à la fin de la concertation des participants à l’Équipe Éducative à propos de son orientation et ce sera l’occasion pour lui de s’exprimer...

Lors de cette confrontation, sa façon naturelle de se présenter et sans aucune agitation, de répondre de façon très pertinente aux questions qu’on lui pose alors confirmera ce que tous remarquent : il n’a rien à voir avec l’élève du rapport du professeur principal dont tous les professeurs soulignent le manque d’investissement de leur matière, l’agitation, les fréquentes absences, ce qui peut expliquer l’irrégularité de ses résultats, à l’exception du professeur principal justement, un homme, qui assure la technologie, et en a fait "son adjoint" en quelque sorte.

Ce n’est qu’après cette EE, en reprenant avec lui ses résultats dans les rapports remis par les participants, que, le nez dans ses contradictions (il ne me parlait pas du tout de "ses absences" tant physiques de l’établissement, que de participation aux cours quand il y était), qu’il m’éclairera sur mes erreurs d’interprétation de son comportement lorsque je les mettais en relation avec ses difficultés d’apprentissage.
C’est bien le côté "psy" qui l’emporte et le fait de l’avoir accompagné dans la reconstruction de son histoire ne peut suffire. Il ne peut utiliser sa capacité à analyser, raisonner, pour évaluer une situation dans laquelle il est comme "empris" [15], et aucun discours de raison ne pourra l’aider à en sortir.

Il s’agit bien de cette incapacité à se motiver en fonction d’un PROJET, une fois posé son passé... ce que je mets en relation avec son retard de développement "psycho-affectif".

Son père ne peut plus gérer une telle situation. Il ne peut se résoudre à le renvoyer, cela ne résoudrait rien. L’avenir est incertain.

Une question centrale pour la motivation : la capacité à "investir"

D’un point de vue "orthophonique" il n’a pas envie... de faire plus que de suivre ses envies.
Mais ce ne sont pas des envies, Manu* me fait comprendre que c’est comme s’il n’était pas concerné, ne comprenant pas le fait que le travail qu’on lui demande serait un passage obligé, comme s’il se donnait le choix... de là où il doit faire un effort d’apprentissage. [16] Et pourtant il sait que s’il dit "j’ai pas envie", il ajoute "mais il faut que je le fasse" en précisant dans une tentative de projection que "ce n’est pas pour quelqu’un mais mon avenir"...
Comme tant d’autres il "lâche" tout le temps ce qu’il a commencé à investir sur le plan des apprentissages, rupture qui répète celle des liens fragiles qu’il réussit parfois à mettre en place dans le contexte de sa vie. Psychothérapie et Internat se révèlent indispensables ainsi que l’a proposé le compte rendu de l’Équipe Éducative [17].

Retour aux Hypothèses

Oublier pour retenir dans un contexte d’apprentissage deviendrait -oublier pour "se" retenir d’agir- en fonction de son envie du moment. Un des modes d’approche passerait par l’exploration de ce que Manu* éprouve lorsqu’il se sent sous l’emprise du désir de l’autre de le voir réussir sans se sentir capable de réussir. Il ne pourrait alors se souvenir des règles qui l’encadrent pour l’aider à grandir, tenir sa parole et réussir dans son chemin de vie.
Mais que devient alors la motivation, dans le jeu complexe entre pouvoir, devoir, savoir et vouloir ? Manu* nous ouvre d’autres pistes, l’effort à fournir pour savoir est trop grand, il semble préférer "jouer" encore et encore, les copains... ce qui s’inscrit dans les difficultés de son développement psycho affectif.
Il y a donc ce jardin secret, ce qui s’élabore en dehors de la conscience qu’il peut en avoir, hors possibilité de mise en mot, du moins ici et maintenant, dans le cadre de cette prise en charge... et de ce qui pourrait être analysé dans cet article.

Et après ?

Il va utiliser deux modes d’expression, le dessin, et une écriture secrète.

-  Il a été puni de toute sortie, d’ordinateur et de télé par son père et dessine des heures durant. Il réalise que quand on n’a pas de jeu tout fait à sa disposition on peut en créer.

Il m’apporte un classeur donné par son père où il a soigneusement classé ses dessins ? Il en avait réalisé un dans la salle d’attente juste après l’EE, une tête d’enfant exprimant la peur dans un grand cri, bouleversant. Il ne l’y a pas mis mais y figure, en deuxième position, ce dessin magnifique [18] qui situe un enfant devant le mur taggé d’une prison, un skate à la main, à côté d’une poubelle. Où est l’évasion, le plaisir de la vitesse de sa propre expérience dans les grandes pentes interdites de la ville ?

Le premier de la série de dessins, car il les a classés par ordre chronologique, représente "la vue d’une mouche (ce qu’elle voit de son point de vue) posée sur sur la colle" et il précise encore en commentant la trousse dessinée à la droite du stick central, fermeture éclair grande ouverte : "on dirait des dents". Sur la gauche figure un cahier ouvert dont la page de droite est couverte d’écriture. On ne voit pas la mouche, l’ovale de la trousse et son commentaire évoque une bouche pleine de dents... Ce dessin me semble la mise en scène de sa problématique. Tout est lié, sa quête d’une relation fiable, l’écrit, sa difficulté à s’affirmer...

Dans un des dessins suivants du dossier, il a créé de toutes pièces un personnage dans sa quête d’exprimer différentes émotions, car, parti d’une bouche énorme la tête est devenue énorme et il fallait réduire le reste. Son petit cousin lui a trouvé un nom "cornichon", il en fera peut-être une BD comme en UPI...

Il est lancé et ravi d’avoir tant de temps... chez lui, puisque privé de...

C’est vraiment l’autre Manu* qui nous étonne tous... jusqu’à la prochaîne séparation et/ou la liberté retrouvée de ne plus tenir compte des règles... celles qu’on lui impose car il s’accroche à ce qu’il a trouvé et décidé de lui-même comme la guitare, ne lisant pas les notes mais les tablatures, et au pompes du matin pour apprendre les verbes irréguliers en Anglais.

-  Les demandes d’internat n’ont pas eu de suite, mais son père a trouvé une réponse à cette situation apparemment sans issue. Une fille de son père, grande demi-sœur que Manu* ne connaissait pas va habiter chez eux, et le suivre de près pour la durée de ses propres études universitaires. Elle a connu une situation parallèle à la sienne et de ce fait peut le comprendre, être digne de confiance, tout en ayant l’autorité qui peut assurer à Manu* la sécurité qui lui fait défaut. Elle est à même de contrôler son travail, le respect des règles de vie, tout ce qui justifiait la demande d’internat. Lors d’une dernière rencontre pour lui remettre le dossier scolaire que le père m’avait confié jusqu’alors, afin qu’elle puisse l’inscrire en 4e, car il n’est inscrit nulle part, Manu* nous révèle qu’il écrit et ajoute fièrement...

C’est dans un cahier et "personne ne peut me lire" "même pas moi". Ce sont des souvenirs de sa vie, anciens et/ou nouveaux, des bons et des moins bons. Il fait de cette sorte de journal intime un jardin secret en le rendant illisible. Comme je m’en étonne, [19], il me précise qu’il a un mot codé pour chacun qui lui permet de le retrouver !

Il aurait donc toujours cette dissociation entre la forme et le sens dans son rapport à l’écriture, en lien avec ses deux mots clés "confiance" (insécurité) et "solitude" (mutisme).


[1] Cet article est plus que jamais aux frontières de l’orthophonie. Par exemple, s’il a oublié son bulletin, les enjeux vont bien au-delà de ce simple fait, car il perd régulièrement tout ce qu’il doit transmettre du collège à chez lui ou de chez lui au cabinet d’orthophonie

[2] "Quoi", et non "qui", ce qu’il me donne à voir de ses "productions" que ce soient actes ou dessins, narrations... dans sa quête identitaire. Je vais jusqu’à tenter de lui faire comprendre que cette "confiance" qu’il a placée dès le départ comme "le manque", (il ne peut avoir "confiance" en son père) est au cœur de ma relation avec lui, d’autant plus qu’il ne peut vivre une relation de cet ordre avec sa mère dans la réalité de sa vie, ce qui me permet de donner sens à ces signes qu’il m’adresse par ses transgressions...

[3] De petits livres d’enfants, comme "Mitch" (de Grégoire Solotareff et Nadja, ed. Lutin poche, illustrent cette problématique de l’humanisation en associant aprole et mouvement. Manu* semble l’avoir trouvée/créée de lui-même (cf. Winnicott) dans ce récit inventé mais sa propre histoire se termine par une sorte d’annulation, car il retourne à "la solitude", évoquée lors de jeux d’association, comme à chaque fois que s’amorce un mouvement vers la relation à l’autre.

[4] de Ricardo Alcantara Musti (ed. Kid Pocket)

[5] Bien que la relation précoce avec sa mère n’ait pu s’établir sur des bases favorisant le travail de séparation : enfermé quand elle partait travailler, à la garde d’un demi frère sourd-muet...

[6] Il avait été amené en France à cet âge sans explication.

[7] Je pense bien sûr à l’histoire du nounours (article précédent), et au doudou/marionnette, souris qui parle (on peut faire bouger sa bouche) qu’il a déjà manipulée et qu’il va me demander de lui prêter peu après.

[8] J’apprends ensuite qu’il l’a rédigée en famille lorsque le père a été sommé de justifier l’absence. Ce dernier avait cherché à me joindre comme je le lui avais demandé, mais sans laisser de message, et j’ignorais donc ce qui s’était passé.

[9] Ce n’est pas la première fois, il y avait eu cette fois où son père était venu affolé, prévenu par le chauffeur de taxi, et en appelant Manu* sur son portable avec le mien, une fois de plus, au lieu du répondeur nous avions capté un dialogue étonnant (grands frères ou keufs en planque ?). Nous n’avons jamais élucidé ce mystère.

[10] Que cherche-t-il à dire dans ces dessins qu’il évoque alors ? Il me parle plus tard de skate, mais comme il ne veut pas se répéter je lui suggère une recherche d’expression des émotions. Nous avions réalisé quelques masques l’année passée.

[11] un jour du début des vacances où je l’ai trouvé traînant dehors, à 100m, sans avoir réussi à être à l’heure et/ou à sonner pour entrer.

[12] Nous n’étions pas entrés mais avions déambulé en surveillant des enfants que je devais garder.

[13] le décalage entre le -c’était comme çà-, et -on peut dire ça- évoque à l’horizon du discours un "ça" (cf. Psychanalyse) qui travaille.

[14] Il s’agit d’un animal en peluche qui remplit une double fonction, marionnette (on peut faire bouger sa bouche) et doudou qui en a séduit plus d’un... souvent choisie dans les petits jeux de rôle qui s’improvisent.

[15] Par ce néologisme, je fais référence à la relation d’emprise définie dans le champ psychanalytique.

[16] Il s’en justifie comme tant d’autres adolescents : telle matière, ça ne sert à rien, tel prof, il le situe dans un registre relationnel.

[17] Je suis d’autres enfants, pré adolescents ou adolescents dans le même cas, en voie de déscolarisation, pour lesquels un travail de remédiation s’impose, mais de quel ordre ? Comment trouver l’établissement qui pourrait les "contenir" pour qu’ils puissent se construire ?

[18] Il a mis un jour à le faire.

[19] Je pense à notre travail lors de son entrée dans l’écrit du temps du "passeur", lorsqu’une syllabe de "son" code "JER" (=jouer jardin Germain) a fait surgir un premier souvenir et que la chaîne associative l’a amené à réaliser un premier récit narratif.


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