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TRISOMIE 21 Les mondes parallèles d’un trisomique (3) LE RETOUR AU RÉEL : DE L’ADOLESCENCE À L’ÂGE ADULTE ? vendredi 20 juillet 2007, par J.Zwobada Rosel Artus est en IMPRO, apprenti horticulteur, et vote. Il est donc très conscient de ses responsabilités de citoyen, d’avoir bientôt à travailler pour gagner de l’argent. Hélas il revoit Terminator et ses repères sont en perdition. Car il y a toujours ce besoin d’aimer et d’être aimé, et les restrictions que son handicap apporte à sa future autonomie. La démarche est toujours la même, l’aider à s’exprimer comme dans le dialogue ci-joint, celui du cauchemar des filles. Les thèmes ont évolué, il n’est plus au collège mais dans un IMPRO et doit s’adapter à la différence des autres, en particulier à l’égard des valeurs morales, de l’injustice, de se faire « traiter ». Il ne comprend pas et se montre parfois bouleversé. Il y a eu un début d’incendie, un élève est responsable, il faut reconstruire le scénario, lorsque, à défaut de pouvoir en parler de façon intelligible, il a dessiné l’extincteur. Nous remontons aux sources pour "séquentialiser" ce qui s’est passé en bande dessinée, toujours dans le plus grand respect de « ses » mots... ♦ L’adaptation au monde par étapes Dès le départ, lorsque, pour le situer dans un nouvel espace-temps nous avons reconstitué son emploi du temps, ses déplacements en groupe, il m’a semblé qu’il était un peu déçu d’avoir des tâches peu gratifiantes, ramasser les feuilles, ranger des outils etc...
♦ Un début d’autonomisation Il est donc en IMPRO, apprenti horticulteur, et va voter. Il est, de ce fait, très conscient de ses responsabilités de citoyen, d’avoir bientôt à travailler pour gagner de l’argent.
Il trouve alors un certain équilibre, ce qu’il exprime dans un dessin qu’il réclame de faire après une discussion sur Ségolène, comme si cela lui permettait de faire le point. Il s’agit d’un paysage. Il justifie l’avion « parce qu’on vit à la montagne, avec le ciel ». Il veut finir son dessin, malgré l’heure, avec l’herbe et les arbres. La séance suivante on parle de ses activités de vacances. Il parle de lui avec sa syntaxe particulière : « ma vie, mon quotidien à moi, un vrai bonheur, l’amour des autres, tout le monde il aime de moi ».
♦ Le désir d’être « normal » La séance suivante, il exprime de nombreuses plaintes somatiques que nous situons du point de vue de la croissance physique, la conséquence d’un effort musculaire à la piscine peut-être. Il est pourtant en pleine forme ce jour après avoir passé une mauvaise nuit l’avant-veille. Le thème de son frère resurgit. De son rapport à la norme et de sa relation à la vie. Il dessine alors « Mission impossible ». Où est ce bel équilibre du dessin précédent ? Ce dessin rappelle celui qu’il avait réalisé quelques années plus tôt. Mais il s’exprime avec des mots et il me semble que le contexte de notre discussion l’éclaire...
Mission Impossible Extraits : Je commente Mission impossible comme « faire changer son frère » avec un sourire complice. Il me raconte alors, tout en dessinant, que ses cuisses tremblent, il le sent. Il a beaucoup nagé. « Moi ai dit au prof de natation, moi z’ai une douleur sur moi. Moi z’ai beaucoup nagé... moi veux pas être un champion. Ze nage tranquille [1] ».
Il enchaîne « P* (son frère) est grandi ». « Moi, z’ai peur de grandir. Sur le papier des handicapés (nom d’une association), “mental et physique”. »
L’angoisse revient avec son besoin d’être rassuré sur sa « raison », ne pas se laisser déborder en quelque sorte. ♦ La remise en question Hélas il revoit Terminator III (qui a un cœur et éprouve des sentiments) et ses repères sont en perdition. Car il y a toujours ce besoin d’aimer et d’être aimé, et les restrictions que son handicap apporte à sa future autonomie. Il exprime alors son identification à Terminator dans un dessin qu’il a mis à la poubelle sans me laisser le voir, intitulé « l’armée des morts », et je m’inquiète de ses propos car il semble avoir des hallucinations auditives. Il ne dessine pas le « robot » mais le cœur, il commente : « les robots ça fait peur aux humains ». J’essaie de le rassurer (son expression témoigne d’une grande souffrance) avec mes pauvres mots : il n’y a rien de robot en toi ! Notre corps n’est pas une machine.
Il dessine des cœurs (et emportera le dessin chez lui). Il veut être un cœur mécanique, un cœur/machine. Il parle comme pour lui et dit ainsi qu’il veut écouter
C’est alors que je sollicite l’aide de collègues, dans un message, car je me demande comment l’aider, autrement peut-être ? J’analysais alors :
♦ De l’humour à la stéréotypie, vers une intégration ? 15 jours passent (j’ai été absente) et la réponse que je lui propose (a-t-il oublié ? Il ne veut pas parler) est un concours de « rire » qui nous entraîne à bailler, bailler, évacuer quelque chose peut-être, pour moi en tout cas ? Il ne veut ni dessiner, ni écrire, se reprend et entame le dernier dessin de l’année. Nous parlons donc... Il a trouvé qu’on pouvait rire, cela détend. Il enchaîne « fais rire les filles : les dents de castor » et nous entrons dans le monde de son humour. Il fait des mines « Bonjour M. je me présente J. Chirac (se déguise) ». On entend un chien aboyer, et il commente : « il parle, sa façon de parler, de sa bouche ».
Le monde selon Artus Il dessine à ce moment la rangée de montagnes en dents de scie (est-ce « sa » façon de parler à lui, à travers le symbolisme du dessin ?). La conversation se poursuit : en vacances, il va gagner sa vie. Il a très bien travaillé. En juillet. En août il va en colonie. Il est très concentré et appliqué. L’univers semble s’organiser du côté du réel, mais il ne veut pas me raconter, c’est un secret, réservé à l’ange gardien. Il se met alors à dessiner les fenêtres, j’insiste tout en évoquant le droit au « jardin secret » : « sinon, moi je te dirai ce que je vois... une souffrance ».
Je le questionne quand il dessine les fenêtres « ça aide à réfléchir, ça aide à rester intelligent » ce qui représente sa grande revendication. Je précise, « « pour ça, tes parents et moi on te le dit, ça suffit ! ». Il a bien mis en mots ce que j’avais observé depuis ses premières stéréotypies, une tentative de mise à distance, de recul par rapport au thème du dessin qui concerne ici sa projection dans un avenir d’adulte. A-t-il réintégré « notre » monde ? Il est heureux de penser que l’année est finie et qu’il va entrer dans le monde du travail lorsqu’il va encaisser un « salaire ». DiscussionStéréotypie ? L’analyse du dessin montre que, chez les enfants tout venant, d’un point de vue sémiologique, le dessin est orienté et la disposition de ses éléments dans telle ou telle zone répond aux critères d’un espace projectif. C’est l’espace de structuration de la relation au monde. Qu’en est-il chez Artus ?
Quelle fonction remplirait ce qu’on pourrait considérer comme stéréotypie ? A observer Artus en train de dessiner ces petits éléments qu’il répète, d’un air très concentré, le front plissé, le nez pincé, on imagine comme un effet de mise à distance de quelque chose qui lui ferait peur, au delà même du vide de quelque chose qu’il remplit : l’espace de la maison, l’herbe du paysage, brins qui seront dans le dessin de Terminator remplacés par des cœurs, comme dans certains dessins d’enfants de 5 ans, indiquant le débordement d’émotions en empruntant un symbole dont on est heureux de maîtriser la forme à cet âge. Stéréotypie et trisomie Pour Artus, la stéréotypie se manifesterait ainsi dans le dessin , et semble jouer le rôle de mettre à distance l’angoisse que soulève en lui la thématique qu’il a posée, comme le bégaiement l’exprime quand il essaie de le dire.
Expression figurative et langage Alors que chez les autres enfants les productions langagières se répartissent en commentaires, le plus souvent d’action, qui accompagnent l’élaboration du dessin, annoncent des intentions, ou en commentaires évaluatifs par la mise en mots d’affects, le dessin vient exprimer ce qui ne peut être mis en mots en le thématisant à défaut de parvenir à le scénariser. Récit et « Histoire » Dans une perspective développementale, le récit ne peut se réaliser sans étayage. Il s’entend alors en 2 temps, le 2e favorisant la mise à distance, et permettant parfois une réorganisation des données. Il revêt 3 formes, oral, dicté à l’adulte, écrit. La cohérence implique la prise en compte de la temporalité, se manifestant sous forme de séquentialité. Artus n’en est pas encore là et le langage, la mise en mots dans une conduite narrative, ne peut intervenir dans la fonction de distanciation qu’elle remplit au cours du développement d’un enfant.
[1] Ce qui correspond à la conscience de ses limites... |
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